
Pendant que nous attendons les résultats de l’élection présidentielle et des élections au Sénat, Kim Parlee et Beata Caranci, économiste en chef, Groupe Banque TD, discutent des répercussions sur l’économie, les impôts et le commerce, ainsi que de la probabilité d’un plan de relance sous une administration Biden ou Trump en 2021.
Alors que tout le monde continue d’essayer de digérer ce qui se passe avec les élections américaines, certains aspects deviennent clairs et sont pris en compte sur le marché. Beata Caranci est économiste en chef à la TD. Je l’accueille à l’instant pour discuter avec elle des aspects qu’elle examine. Et avant d’aborder les questions précises que vous examinez, Beata, dites-moi un peu ce que vous voyez dans le tableau d’ensemble.
Oui, bien sûr. À l’heure actuelle, il semble que les deux marchés financiers soient préparés à un Congrès divisé. L’idée que nous aurons un Sénat républicain et une Chambre démocrate. De ce fait, les marchés boursiers enregistrent des gains et le dollar américain se déprécie par rapport à ses pairs en raison d’un appétit pour le risque. Et c’est surtout parce qu’avec un Congrès divisé, les programmes de dépenses seront fortement limités.
Donc, si Biden est élu président, ça signifie qu’il ne pourra pas imposer des hausses d’impôt de plusieurs billions de dollars, tant pour les ménages gagnant plus de 400 000 $ que pour les sociétés. Ce sera beaucoup plus difficile. Parce qu’au bout du compte, vous avez besoin de l’approbation du Congrès, ce qui signifie que vous avez besoin de l’adhésion du Sénat. Nous savons que lorsque le Sénat est républicain et que le président et la Chambre sont démocrates, ils ont tendance à être ancrés dans leurs positions en ce qui concerne les dépenses et les impôts. C’est donc ce à quoi le marché réagit, en partie.
Par ailleurs, les secteurs qui auraient été davantage réglementés sous la présidence de Biden semblent maintenant devoir adopter un ton plus modéré. Donc, le secteur des services financiers, le secteur de l’environnement et d’autres secteurs devront probablement désigner des personnes pour ces portefeuilles, qui seront un peu plus modérées que ce qui aurait pu se produire dans le cas d’un balayage démocrate.
J’aimerais approfondir quelques-unes de ces questions. Mais j’aimerais commencer par les mesures de relance. Parce que vous avez publié un texte, et que vous y mentionnez que la perspective que les mesures de relance budgétaire soient mises en place d’ici le début de 2021 est davantage incertaine. Je suppose que ce n’est pas seulement une question de temps, mais aussi de montant.
Oui, ça concerne spécifiquement les mesures de relance liées à la pandémie. Cela n’a donc pas nécessairement à voir avec la plateforme du parti qui dirige le gouvernement. Par exemple, avant ces élections, Mnuchin et Pelosi essayaient de négocier certains points, comme les dépenses, les fonds versés aux États et aux gouvernements locaux qui ont des besoins criants, l’augmentation des prestations d’assurance-chômage complémentaires, toutes sortes de dépenses pour l’éducation, la santé et le dépistage... tous des aspects de l’économie américaine qui sont pertinents et nécessaires. Mais les républicains et les démocrates sont très divisés quant aux montants.
Avant les élections, le Sénat avait présenté un budget limité de 500 milliards de dollars. Le montant proposé par les démocrates était à l’opposé, soit 2 billions de dollars. Mnuchin avait comblé le fossé à environ 1,9 billion, ce qui est assez généreux de la part du Sénat comme point de départ. Mais aucune entente n’a encore été conclue.
Pour l’instant, quiconque sera impuissant de faire quoi que ce soit, jusqu’au Jour d’investiture, le 20 janvier. Il n’est donc pas certain qu’on obtienne ce que Mnuchin avait déjà tenté de négocier. Et ça va se situer probablement entre 500 milliards et 1 billion, si une entente peut enfin être conclue. Parce que cela dépend maintenant si le Sénat a la volonté politique d’élaborer un plan budgétaire.
L’incertitude à cet égard a donc beaucoup augmenté. Mitch McConnell, qui a été réélu, a manifesté son ouverture et sa volonté d’adopter des mesures de relance budgétaire. Mais, encore une fois, du côté du Sénat, ils sont à 500 milliards. Je pense donc que les marchés se préparent, en partie, à obtenir quelque chose, mais rien de ce qui se serait produit si nous avions connu une vague bleue, ou si l’entente avait été conclue avant les élections.
Est-ce que c’est quelque chose de préoccupant? Parce que les gens sont très préoccupés par les élections en ce moment, mais nous sommes en pleine pandémie. Je crois que les cas aux États-Unis approchent de 106 000 par jour, selon les dernières données. Je veux dire, il y a un réel besoin que des mesures de relance soient prises. Je suis curieuse. Est-ce que ça vous préoccupe, et quelles sont les conséquences à long terme de l’absence d’une telle entente? Qu’est-ce qui pourrait se produire?
Oui, le plus grand risque est que ces prestations d’assurance-chômage complémentaires, qui sont expirées... elles étaient à 600 $, en plus de ce qui est normalement fourni par le gouvernement fédéral et les États. Ce montant a diminué à 300 $ avec Trump, qui a utilisé essentiellement les pouvoirs exécutifs pour combler une période d’environ six semaines de fonds disponibles. Comme pour tout le reste, vous devez vous adresser au Congrès pour obtenir son approbation.
C’est le risque le plus important, par rapport au soutien des personnes à faible revenu en particulier. Et ce sont les emplois les plus durement touchés. Et ces personnes-là risquent d’être les dernières à récupérer leur emploi en raison de la croissance des cas. Même si des États sont ouverts pour les affaires, mais que les gens ne vont pas au restaurant, ces travailleurs-là n’ont pas d’emploi.
La reprise aux États-Unis a donc été fortement stimulée par les personnes à faible revenu qui ont maintenu leurs dépenses à un niveau équivalent à ce qu’elles auraient fait l’an dernier, en pleine pandémie. Parce qu’ils achètent des articles dont ils ont besoin plutôt que des articles de luxe, comme des bateaux et des véhicules récréatifs, des choses de ce genre que les gens à revenu élevé s’achètent.
Cette baisse de revenu pourrait donc être importante. Et on pourrait commencer à voir cette réalité se concrétiser aux mois de novembre, décembre et janvier. Et c’est à ce moment-là que Trump n’aura plus de bouée de sauvetage.
L’autre facteur, ce sont les entreprises. On sait que les compagnies aériennes et les restaurants ont vraiment besoin d’aide supplémentaire. Le Sénat, le Sénat républicain, est motivé à le faire.
Ils sont très favorables aux entreprises. Ils sont très ouverts à l’idée de prolonger le programme de protection des salaires. C’est donc un aspect pour lequel il pourrait y avoir un compromis. Mais, en même temps, est-ce que ce sera suffisant pour augmenter ces chiffres?
Sans ce programme, on s’attendrait à une hausse des taux de faillite, des retraits et des dépenses plus élevés, qui correspondent davantage au taux de chômage. Parce qu’actuellement, le revenu ne reflète pas les résultats du taux de chômage. Et à la minute où on élimine les mesures de soutien du revenu, on commence à voir une récession qui ressemble vraiment à une récession.
KIM PARLEE : D’accord. C’est donc quelque chose à surveiller. J’aimerais vous demander... vous avez parlé d’impôts.
Je ne vais pas trop appronfondir le sujet. Parce que je crois que le marché s’est exprimé sur ce qu’il en pense. Mais le commerce est intéressant.
Et vous mentionnez dans votre texte que le Congrès a moins d’importance que le président. Mais j’ai entendu quelqu’un d’autre dire, et j’ai trouvé ça intéressant, qu’il ne s’attendait pas à ce que les problèmes changent, peut-être seulement que le ton change. Et je me demande ce que vous en pensez.
Oui. Oui, je suis d’accord avec ça. Tout d’abord, Biden a vivement critiqué la Chine.
Son approche serait probablement différente de celle de Trump. Trump a plutôt eu recours à des mesures extrêmes, soit des tarifs douaniers et des mesures très sévères, tant au niveau du ton que des mesures qu’il a prises. Biden a indiqué, d’une part, qu’il n’était pas non plus en faveur des actions de la Chine, du vol de propriété intellectuelle et de l’ampleur du déficit aves les États-Unis. Ils sont donc d’accord sur ces points.
Par contre, il a aussi indiqué qu’il chercherait probablement à conclure davantage d’ententes ou d’options bilatérales avec d’autres pays. On verrait qu’il y a peut-être une approche plus alliée à l’égard de la Chine plutôt qu’une approche « chacun pour soi », qui est essentiellement la façon dont Trump a fonctionné au cours de son mandat des quatre dernières années. C’est pourquoi nous pensons qu’il y aura un peu moins d’incertitude sur le marché, les États-Unis se rapprochant peut-être davantage de la mentalité des alliés et utilisant ce soutien, en espérant qu’il sera efficace à cet égard. Mais ça reste à voir. Parce que vous pouvez en dire beaucoup lorsque vous briguez le poste de président, mais il faudra voir ce qui va réellement se passer.
Dernière question, Beata. À mesure que la situation va évoluer au cours des prochaines semaines, je suis curieuse de savoir ce que vous examinez, par rapport à ce qui est important de votre point de vue, et aussi de ce qui est important d’un point de vue canadien.
Oui, je pense que lorsqu’on regarde l’orientation de l’économie... parce qu’on sait que les cas de virus se multiplient. Et il y a de l’angoisse à savoir si les entreprises vont devoir fermer leurs portes et s’il y aura des mesures de soutien budgétaire. Nous n’avons donc aucun contrôle sur les mesures de soutien budgétaire. Nous devrons simplement surveiller ce qui se passe au Congrès.
Mais nous pouvons observer, entre-temps, ce qui se passe sur le marché de l’emploi et les habitudes de dépenses en temps réel. Essentiellement, il existe de très bonnes données sur l’utilisation des cartes de crédit et de débit, et sur les niveaux de revenu. Vous pouvez voir quels secteurs, quels États, quels niveaux de revenu dans ces États qui réagissent.
C’est donc une mesure qu’on surveille de près. D’abord, ça pourrait obliger le Congrès à s’entendre sur un plan de relance budgétaire. Mais deuxièmement, ça va nous donner une idée si on se dirige vers une reprise en forme de W que personne ne veut voir.
Et ça pourrait se produire. Ça ne signifie pas nécessairement que les gouvernements doivent fermer des entreprises. Ça pourrait être simplement des personnes qui battent en retraite si des mesures de soutien ne sont plus offertes pour soutenir leur entreprise ou leurs habitudes de dépenses.
Jusqu’à présent, les données indiquent le contraire aux États-Unis. Le marché a été incroyablement résilient. Et c’est un signe très positif. Mais à mesure que nous allons traverser les mois les plus difficiles de novembre, décembre et janvier, c’est là qu’aura lieu le véritable test.
Beata, merci beaucoup. Merci d’avoir été là.
Ça m’a fait plaisir.
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