À moins de 100 jours de l’élection présidentielle américaine, les sondages placent l’ancien président Donald Trump et la vice-présidente Kamala Harris au coude à coude. Chris Krueger, directeur général du Groupe de recherche de Washington de TD Cowen, se joint à Kim Parlee de MoneyTalk pour parler des derniers grands catalyseurs potentiels dans la course à la Maison-Blanche.
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[LOGO SONORE] * Les semaines et les mois qui viennent seront déterminants pour Harris et Trump. Il reste maintenant moins de 100 jours avant l’élection présidentielle américaine. Selon certains, nous sommes passés d’un potentiel couronnement à une course. Nous allons entendre les perspectives de Chris Krueger, directeur général du Groupe de recherche de Washington de TD Cowen et analyste des questions macroéconomiques, budgétaires, fiscales et commerciales. * Chris, c’est un plaisir de vous accueillir. J’aimerais qu’on parle un peu des rebondissements politiques, pour commencer. On abordera ensuite la question des politiques proprement dites. Vous avez souligné dans une note que vous avez publiée hier ou avant-hier que Kamala Harris avait démarré en force. Elle a ouvert la compagne avec sa vidéo « Freedom », avec l’appui de Beyoncé. Elle a obtenu son accord et elle a rapidement levé 200 millions de dollars. À votre avis, qu’est-ce que ça signifie et que doit-on en retenir? * Ravi d’être avec vous, Kim. Je crois qu’on n’a jamais vu ça. Il y a seulement une dizaine de jours, tout le monde parlait de l’énorme écart d’enthousiasme suscité par les deux campagnes, celle de Trump et celle de Biden, en particulier après la tentative d’assassinat de l’ancien président Trump. Comme vous l’avez vu, maintenant que Kamala Harris est la candidate la plus probable, cet écart abyssal a pratiquement disparu. * Pour la première fois, on voit des électeurs démocrates enthousiastes à l’idée de voter. Les collectes de fonds ont atteint des niveaux records. Les réunions sur Zoom ont battu des records de participation, d’inscription de volontaires dans beaucoup d’États qui, dans les semaines qui ont suivi le débat historique de juin, ont vu les démocrates paniquer à peu près partout. * Des États comme le Maine et le Nouveau-Mexique semblaient sur la sellette. Les candidats à la Chambre des représentants et au Sénat étaient très inquiets. Et maintenant, pour la première fois dans ce cycle électoral, on note peut-être plus d’enthousiasme du côté démocrate que du côté républicain. Tout au moins, à l’approche de la convention démocrate, la « lune de miel » de Kamala Harris a entraîné un soubresaut dans les sondages. On verra combien de temps ça va durer. Pour l’instant, il ne fait aucun doute que la course a été transformée. * Je crois que - Je vais faire référence à votre note, car je crois que c’est là que je l’ai lu. Je crois que vous avez dit que 25 % des électeurs avaient une opinion défavorable à la fois de Biden et de Trump. Vous avez parlé d’un concours d’impopularité, me semble-t-il, dans un balado. Est-ce que cette nouvelle popularité ou ce nouvel élan suffira à faire pencher la balance en faveur de Kamala Harris? Ou s’en va-t-on vers une course au coude à coude? * C’est très serré. Ces 25 % d’Américains qui ont une opinion défavorable de Biden et Trump représentent les électeurs « ni-ni ». Ce chiffre n’a jamais été aussi élevé dans l’histoire moderne des États-Unis. C’est à peine comparable. La seule fois où on a frôlé 20 %, c’était en 2016 dans la course qui opposait Hillary Clinton et Donald Trump. Ces chiffres datent d’avant la tentative d’assassinat. Je crois qu’ils sont maintenant retombés à moins de 10 %. * Mais jusqu’à présent, beaucoup de démocrates modérés, même ceux qui ont voté pour Nikki Haley pendant les primaires, décidaient de voter pour Biden au motif que ce n’est pas Donald Trump. Vous votez pour quelqu’un parce que vous n’aimez pas l’autre candidat. Vous l’aimez encore moins que l’autre. Maintenant, Kamala Harris bénéficie plutôt d’un vote positif. * On verra s’il s’agit plutôt d’un sprint ou d’un marathon. On verra si l’enthousiasme dure. Mais tout porte à croire qu’il se maintiendra jusqu’à la veille de la convention démocrate qui aura lieu dans quelques semaines. * Les nouvelles s’enchaînent à un rythme affolant. Tout va extrêmement vite. Qu’allez-vous surveiller au cours des prochaines semaines et des prochains mois? Je suis sûre qu’il y aura beaucoup de surprises, mais qu’est-ce qui va être déterminant? * Dans notre groupe de recherche de Washington de TD Cowen, on tente de déterminer quels événements catalyseurs vont se produire à coup sûr. Comme vous le disiez, il y a tellement d’imprévus. Pour nous, il y aura au moins quatre grands catalyseurs d’ici 7 à 8 semaines. Qui Kamala Harris va-t-elle choisir comme vice-président? C’est sans doute le premier catalyseur. * Deuxièmement : la Convention démocrate qui commencera à Chicago le 19 août. En septembre, probablement au cours de la première quinzaine du mois, il y aura peut-être un débat présidentiel entre Harris et Trump. Pour l’instant, ce sera probablement le 10 septembre si le débat est diffusé sur ABC News, ou le 17 ou le 18 septembre s’il est diffusé sur Fox News. * Quelques jours plus tard, le 18 septembre, il y aura en théorie la condamnation de l’ancien président Trump à New York pour 34 chefs d’accusation. Ce n’est pas tout à fait clair à cause de la décision de la Cour suprême sur l’immunité qui a déjà entraîné du retard. Mais voilà les quatre grands catalyseurs qu’on suit attentivement et qui sont prévus. * L’élection n’a lieu que le 5 novembre, mais dans certains endroits, le vote anticipé commence à la mi-septembre. Jusqu’à 80 % des suffrages pourraient être exprimés d’ici le 5 novembre. On parle des surprises du mois d’octobre, mais en réalité, elles seront peut-être pour septembre, car beaucoup d’États votent désormais par anticipation et par correspondance. * On a entendu que le président Biden voulait faire adopter un amendement constitutionnel sur l’immunité présidentielle. Qu’est-ce que ça implique? S’agit-il d’une autre variable à surveiller de près? * Je pense que c’est un peu mis en exergue avec les messages de campagne de Kamala Harris sur la liberté, ça sous-tend le droit à l’avortement, la démocratie, etc. Bref, il est extrêmement difficile de faire adopter un amendement constitutionnel. Il faut les deux tiers des voix à la Chambre des représentants et au Sénat, et la ratification des législatures de trois quarts des États. C’est une question complexe, mais je vais vous donner une réponse simple. La tâche est presque impossible. * J’aimerais changer un peu de sujet et parler des conséquences à long terme de ces élections, de la composition du futur Congrès, etc. Commençons par l’hypothèse où l’ancien président Trump remporte l’élection présidentielle. Pourriez-vous nous donner des pistes de réflexion s’il y a une majorité républicaine au Congrès ou si le Congrès est divisé? * Je pense que c’est la meilleure façon d’aborder la discussion. Il faut voir au-delà de qui remportera la Maison-Blanche. Le match préliminaire se joue à la Chambre des représentants et au Sénat. À l’heure actuelle, le ratio à la Chambre est de 51/49 en faveur des démocrates. La Chambre compte 435 représentants. Selon les jours, il y a une majorité républicaine de deux ou trois sièges. * C’est très important pour l’an prochain, parce qu’on va de nouveau se heurter au plafond de la dette à l’été. Et l’an prochain, il y aura un précipice budgétaire de 4 500 milliards de dollars avec l’expiration de toutes les réductions d’impôts individuelles de 2017 et l’expiration des subventions de l’Obamacare. Pour l’heure, Trump a déclaré qu’il maintiendrait tous ces taux d’imposition à leur niveau actuel, voire qu’il les abaisserait. En ce qui concerne la probable candidate, on suppose que Kamala Harris poursuivra l’engagement de campagne de Biden sur le maintien des taux actuels pour ceux qui gagnent moins de 500 000 $. * Si le Congrès est divisé, Trump ne pourra rien faire, Harris ne pourra rien faire de façon unilatérale en matière de politique fiscale. Si le Congrès est divisé, l’année s’annonce plutôt chaotique sur le plan fiscal et budgétaire, sans qu’on sache vraiment ce qui va se passer avant la fin décembre de l’an prochain. * Oui, les stratèges de marché nous disent parfois qu’ils sont plus à l’aise avec un Congrès divisé, car il y a moins de fluctuations extrêmes dans un sens ou dans l’autre. Si on revient sur votre note, vous mentionnez les réductions d’impôts de 2017. Mais il y a l’immigration et les droits de douane : 10 % sur toutes les importations. Immédiatement, les oreilles des Canadiens se dressent pour comprendre ce que ça signifie. Des droits de douane de 60 % pour la Chine. * Je trouve ça intéressant, car vous ajoutez entre parenthèses « probablement après négociation ». L’expulsion de presque... On voit ici que jusqu’à 7 millions d’immigrants sans-papiers seraient concernés. Ce sont des changements majeurs Quand vous réfléchissez à cela, Chris, quand vous travaillez avec votre équipe, comment tenez-vous compte de la probabilité de ces événements dans vos estimations? * Selon nous, surtout si le gouvernement est divisé, dans un monde où Trump remporte les élections, on s’attend à ce qu’il mette le paquet sur les politiques pour lesquelles il détient un pouvoir quasi unilatéral en tant que président des États-Unis. Contrairement à la politique fiscale, le commerce et l’immigration sont deux domaines dans lesquels le Bureau ovale dispose de pouvoirs considérables. * Trump a été très clair sur deux points concernant le commerce. D’abord, des tarifs douaniers généraux de 10 % sur toutes les marchandises importées dès le premier jour. Il n’a pas besoin de l’accord du Congrès. On s’attend à ce que le Canada obtienne une exemption, surtout à cause de l’AEUMC, l’un des accords commerciaux marquants du premier mandat de Trump. * Le processus d’examen de l’AEUMC est en cours et doit s’achever le 1er juillet 2026. Je tiens à préciser qu’il n’est absolument pas certain que le Canada et le Mexique obtiennent des exemptions sur ces tarifs de 10 %. La deuxième mesure sur le plan du commerce serait l’abrogation des relations commerciales normales et permanentes avec la Chine. Il faudrait l’accord du Congrès, mais honnêtement, il aurait les voix nécessaires. * Il pourrait aussi instaurer des changements tarifaires de façon unilatérale, ce qui porterait les tarifs douaniers généraux sur les importations chinoises d’environ 20 % à 60 %. Et il faut encore ajouter 10 %. Les tarifs douaniers augmenteraient donc de 20 % à 70 %. * Je suis désolée qu’il nous reste si peu de temps. La prochaine fois, je vous ferai rester une heure pour qu’on ait plus de temps. Avec une Maison-Blanche démocrate et un Congrès démocrate – même si c’est selon moi peu probable, faudrait-il s’attendre au statu quo? Il n’y aurait pas de changements majeurs dans l’orientation politique? * Vous avez raison. Compte tenu des facteurs géographiques et arithmétiques des élections au Sénat, on voit difficilement comment les démocrates pourraient s’imposer, mais c’est possible. Ceci dit, ils gagneraient par une marge vraiment infime. On aboutirait sans doute à un compromis en matière fiscale. À vrai dire, ça pourrait ralentir l’inflation et calmer un peu le marché obligataire. * Si on a un Sénat républicain et un président démocrate, rappelons que le Sénat doit confirmer la nomination du Cabinet et des régulateurs, ce qui assure une certaine protection en matière de politique. On s’inquiéterait moins de l’effet inflationniste des tarifs douaniers et du potentiel inflationniste d’un choc de l’offre de main-d’œuvre découlant des expulsions. * Chris, il ne me reste que 45 secondes. Vous avez parlé de l’espoir d’une exemption pour le Canada grâce à l’AEUMC. Selon vous, y a-t-il autre chose que les Canadiens devraient surveiller? * Je pense que le processus d’examen de l’AEUMC sera certainement un sujet incontournable quel que soit le résultat de l’élection, que ce soit Biden... Pardon, que ce soit Kamala Harris ou Donald Trump qui l’emporte. Ce n’est pas tant le Canada que le Mexique qui est au cœur de l’attention. Le principal problème du processus d’examen de l’USMCA, c’est la perception que la Chine utilise le Mexique pour contourner certains droits de douane par transbordement. Si rien d’autre ne change, le Canada devrait être en assez bonne position de toute façon. Mais il va falloir suivre ça de près. [MUSIQUE]