Les craintes d’une récession mondiale continuent de peser sur les marchés financiers. Kim Parlee discute des perspectives de croissance avec Beata Caranci, économiste en chef, Groupe Banque TD du potentiel de ralentissement de la croissance pour l’année à venir et de ses répercussions sur le Canada.
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* Bienvenue à Parlons argent. Ici Kim Parlee. C’était un plaisir de vous accueillir. Le père Noël aurait pu regarder le vortex polaire et se dire : « Je vais laisser tomber la tournée du père Noël cette année », et faire chuter la Bourse jusqu’à la fin de 2022. Les marchés ont légèrement rebondi en 2023. Mais tout le monde se concentre sur l’évolution de l’économie, les taux et les banques centrales. Pour nous donner son avis sur ce que l’année 2023 pourrait amener, surtout d’un point de vue économique, on accueille Beata Caranci, économiste en chef au Groupe Banque TD. C’est toujours un plaisir de vous voir. * Merci, Kim. * Et bonne année, en retard. * Oh, et à vous aussi. * Alors, allons-y. J’aimerais bien passer en revue tous les principaux facteurs pour 2023. Allons droit au but : la récession. Est-ce que c’est là qu’on se dirige? Je sais que vous avez dit que l’emploi a été exceptionnellement solide depuis le début. Est-ce que c’est là qu’on se dirige? Est-ce qu’il y en aura une? Combien de temps ça va prendre? * Oui, c’est un défi parce que le marché de l’emploi a été très solide. Toutefois, le marché de l’emploi n’est pas souvent un indicateur précurseur de récession. Au mieux, les coïncidences sont parfois à la traîne. Ce que ça nous dit, c’est que le cycle de récession n’a probablement pas encore débuté. Quand on voit un tel nombre d’emplois crées – 100 000 au cours du dernier mois pour le Canada, ce qui est 10 fois plus que ce à quoi on s’attendait. Et aux États-Unis, il n’y a aucun signe de relâchement. * Et on peut aussi observer d’autres statistiques, comme une forte demande qui est toujours là. Ça nous indique qu’on n’en est pas là. Pour ce qui est de savoir où on se dirige et quelle en sera l’ampleur, on verra en 2023. C’est très probable que la croissance soit très faible cette année, et encore beaucoup de débats en ce qui concerne la récession. Je dirais que lorsqu’on examine les indicateurs prospectifs, ils commencent à nous donner un petit signal pour nous avertir qu’il nous reste encore environ six mois. Ils ne donnent aucune indication de la profondeur. C’est quelque chose qu’on ne voit qu’en rétrospective. Compte tenu des bases de l’économie américaine et canadienne, des taux d’épargne élevés et du bon point de départ du marché de l’emploi, beaucoup de gens prévoient une légère récession. * Mais on ne pourra pas répondre à cette question tant qu’on ne l’aurons pas résolue. Je pense que le Canada présente plus de risques que les États-Unis, contrairement aux deux derniers cycles. Vraiment? Oui. Pourquoi? * C’est lié au ratio d’amortissement de la dette et au fort endettement qu’on a au Canada. Quand les États-Unis ont vécu leur cycle de désendettement après la crise mondiale, ils se sont vraiment désendettés. C’était difficile. Ça a duré environ cinq ans. Toutefois, leur endettement a été nettement inférieur à celui du Canada. De même, les taux d’intérêt élevés ont un impact plus faible sur eux maintenant parce qu’ils ont moins de dettes qu’avant. * Le Canada a fait volte-face. Non seulement on n’a jamais traversé un cycle de désendettement, mais on a pris du recul. On est passés à un produit à risque plus élevé, comme les prêts hypothécaires à taux d’intérêt variable ou vous devez renouveler tous les cinq ans. Très sensible au cycle des taux d’intérêt et à l’augmentation de l’endettement. Et cette combinaison nous expose davantage à des risques d’une récession plus profonde ou peut-être à une situation plus stagnante; selon l’évolution de la situation. * C’est fascinant. Il y a beaucoup de turbulences. C’est pour ça que vous êtes payé pour faire ce que vous faites : comprendre ces tendances et voir comment tout ça se dépose. L’autre facteur dont les gens essaient de tenir compte est la Chine. En raison de la politique zéro COVID, tout était fermé. Maintenant, les choses commencent à rouvrir. Je vais mettre de côté les risques liés à la COVID pour un moment, mais seulement l’occasion économique d’une réouverture, une demande matérielle accrue, une hausse de la demande de produits de base et ce genre de choses. Est-ce que c’est une force contraire? Est-ce que ça contribue à l’amélioration de la situation mondiale? * Oui, le moment n’est pas bien choisi, comme on est très préoccupés par l’inflation. Et pour revenir à votre point, la demande de produits de base présente un risque d’une remontée des prix des produits de base qui alimente l’inflation, alors que l’inflation redescend de son sommet. L’inquiétude, c’est que ça exerce des pressions sur l’économie mondiale à un moment où on essaye d’atténuer les pressions sur l’économie. Je dirais qu’il s’agit du deuxième semestre de 2023. * Je pense qu’au premier semestre, ça va encore être difficile sur le plan du système de santé et pour éviter que les chaînes d’approvisionnement ne soient perturbées par les taux de maladie. Quand on va entrer dans la deuxième moitié de l’année, en sachant ce qu’on a observé jusqu’à présent sur cette maladie, on doit traverser ces vagues puis il diminue à mesure que le taux d’infection augmente, selon nous, d’importantes pressions pourraient s’exercer au deuxième semestre de l’année et renaître dans les prix des produits de base au point où la demande remontera. * Si ce moment survient, il ne serait pas le pire à ce stade du cycle parce que c’est probablement là que les marchés du Canada et des États-Unis vont toucher leur creux. Ça pourrait donner un petit coup de pouce à la demande d’exportation, à d’autres facteurs. C’est une possibilité. Mais beaucoup d’éléments très précis se produisent dans le temps, ce qui rend les prévisions assez difficiles à établir à ce stade. * Laissez-moi vous demander ceci : quand on pense à 2023, on pressent un ralentissement. Encore une fois, on ne sait pas de combien ni quand. Et de plus en plus de sociétés ouvertes suppriment des emplois. [INAUDIBLE] les a annoncées aussi. Quelles données surveillez-vous au-delà de… de toute évidence, l’inflation… des banques centrales? Mais qu’est-ce que vous surveillez d’autre pour comprendre comment se déroulera 2023? * Oui, si vous réfléchissez à ce que vous pourriez penser des indicateurs précurseurs, habituellement, il faut porter attention aux carnets de commandes des sociétés. Comment leurs ordres se raffermissent-ils ou se détériorent-ils? En fait, on a vu une diminution, surtout aux États-Unis. Et la raison pour laquelle vous y prêtez attention, c’est votre production future, vos stocks futurs, tout ce qui vous attend. * À quoi ressemblent-ils? * Ils sont rendus au point où on est en territoire de contraction, Ça signifie qu’un plus grand nombre de sociétés disent qu’elles ralentissent ou qui ne sont pas aussi solides qu’auparavant. Et c’est une chose à laquelle on porte attention. C’est une chose à laquelle on porte une attention particulière du côté des services. Habituellement, quand on entre dans une période de faiblesse économique, le secteur manufacturier nous amène au début du cycle. Mais tout a été à l’envers après la pandémie. Par conséquent, le secteur des services s’est replié davantage que prévu aux États-Unis pour la confiance et les sondages, ce sont des données subjectives plutôt qu’objectives. * Nous portons donc attention si les données subjectives se concrétisent. On doit s’en préoccuper. À ce stade, non, pas pour les données objectives. Mais les données subjectives pourraient être notre indicateur précurseur. C’est un aspect auquel on porte attention. Encore une fois, il faut surveiller le marché de l’emploi. C’est très difficile de dire : « oh, on va être en récession », mais tout le monde conserve son emploi. Ça ne serait pas logique… Il n’y a aucune contrainte financière. * Eh bien, les salaires diminuent, n’est-ce pas? * Oui, mais ils sont quand même assez bons. Ils suivent l’inflation de près. Le revenu des gens n’est donc pas, le revenu réel n’est pas touché autant qu’on pourrait le croire. Et c’est habituellement ce qui vous amène à réduire vos dépenses. Et puis, les profils de dépenses seront très importants. Si les gens commencent simplement à perdre confiance ou parce qu’ils entendent tant parler du risque de récession, ils deviennent simplement plus prudents, ça ne serait pas inhabituel. Et c’est là qu’entre en jeu l’argument selon lequel les gens transforment leurs peurs en réalité parce qu’on en entend tellement parler qu’on se dirige naturellement vers un comportement prudent. * Pour le moment, je n’examinerais pas le marché de l’habitation. Le marché de l’habitation a en quelque sorte mené le cycle. Il est très sensible aux taux d’intérêt. Pour le moment, ce ne sera pas vraiment notre indice pour les prochaines étapes du cycle. On va plutôt regarder du côté des entreprises et de la demande sur le marché de l’emploi. [LOGO AUDIO] [MUSIQUE]