
Les banques américaines ont vu leurs bénéfices chuter au T2 en raison de l’extrême faiblesse des taux d’intérêt et des prévisions d’une forte augmentation de défauts de remboursement. Anthony Okolie et Monica Yeung, analyste, Services financiers mondiaux, Gestion de Placements TD, discutent des plus récents résultats et des moyens pris par les banques américaines pour résister à la pandémie.
Alors qu’un grand nombre des plus grandes banques américaines ont vu leurs bénéfices diminuer au deuxième trimestre, certaines banques ont en fait profité d’un bon contexte de vente et de négociation. Monica, que pensez-vous des derniers résultats?
Les banques américaines à grande capitalisation ont annoncé leurs bénéfices du deuxième trimestre la semaine dernière. En moyenne, les banques ont surpassé les prévisions de bénéfices. Et dans un trimestre typique, je vous dirais que c’est une excellente chose. C’est une bonne chose. Mais on vit une période inhabituelle. Les prévisions et les comparaisons par rapport au consensus ne sont pas aussi importantes ce trimestre-ci qu’elles le seraient habituellement.
Les investisseurs se concentrent plutôt sur les perspectives et les bénéfices sous-jacents, et c’est là que les perspectives deviennent un peu plus floues pour les banques américaines. Pour ce qui est des bénéfices sous-jacents, si on regarde les banques qui ont déclaré un bénéfice, les grandes banques qui ont déclaré un bénéfice ont vu leur bénéfice par action diminuer de plus de 50 % par rapport à l’an dernier. Donc, malgré des activités de vente et de négociation très solides, les pertes sur prêts ont été un peu plus importantes que prévu.
De plus, du point de vue des perspectives et des prévisions, le contexte est encore plus nébuleux. Je dirais que, de façon générale, les équipes de direction ne s’attendent pas à ce que le contexte actuel s’atténue de sitôt. En fait, les deux plus grandes banques, JPMorgan et la Bank of America, prévoient, selon le scénario le plus probable, que le taux de chômage restera bien au-dessus de 7 % d’ici la fin de 2021 et que le PIB ne se redressera qu’en 2022 ou 2023.
Les bénéfices des banques américaines à grande capitalisation ont donc été supérieurs au deuxième trimestre. Mais pour ce qui est des bénéfices et des perspectives sous-jacents, le contexte est beaucoup plus nébuleux pour les banques américaines.
Quels sont certains des catalyseurs qui ont stimulé le rendement des banques américaines au deuxième trimestre?
Au deuxième trimestre, les marchés financiers ont vraiment été le principal facteur. Ça a été un succès généralisé et, en fait, de nombreuses banques ont publié des résultats records. Donc, si on regarde les grandes banques d’investissement américaines; on parle ici de JPMorgan, Bank of America, Citi, Morgan Stanley, Goldman Sachs, elles ont vu leurs frais de services bancaires d’investissement augmenter de plus de 50 % par rapport à l’an dernier en raison de la très forte activité de souscription d’actions et de titres de créance, ainsi que les commissions raisonnables liées aux services-conseils.
Si on regarde les résultats des activités de négociation, les chiffres sont encore meilleurs. Donc, les titres à revenu fixe, les devises et les produits de base se négocient en hausse de plus du double par rapport à l’an dernier et les actions, en hausse de plus de 20 %, en raison de la très forte activité des clients dans un contexte de volatilité des marchés. La division des marchés financiers a donc obtenu de très bons résultats.
À l’approche du deuxième semestre, quels sont, selon vous, les obstacles auxquels certaines des grandes banques américaines seront confrontées pendant ce deuxième semestre?
J’aimerais souligner deux obstacles importants pour les banques américaines. Le premier, ce sont les pertes sur prêts. Les provisions pour pertes sur prêts que les banques ont comptabilisées au premier et au deuxième trimestres constituent une sorte de réserve pour les temps difficiles. Les banques mettent donc en place ces provisions pour pertes sur prêts en prévision des pertes qu’elles prévoient pour les prochains trimestres, les prochaines années, mais qui ne se sont pas encore matérialisées.
Au premier trimestre, les six grandes banques américaines ont mis en place des provisions pour pertes sur prêts ou des réserves pour pertes sur prêts d’une valeur totale d’environ 20 milliards de dollars. Au deuxième trimestre, elles ont surpassé ce chiffre par un facteur de 1 et demi. Elles ont accumulé au total environ 30 milliards de dollars de réserves pour pertes sur prêts. Ces chiffres sont donc très élevés et pèsent fortement sur les bénéfices des banques américaines.
L’autre difficulté ou obstacle qu’on voit pour les banques américaines, ce sont les taux d’intérêt. Si on pense à une banque comme JPMorgan, elle tire environ 50 % de son bénéfice de ses revenus liés aux taux d’intérêt, et ce trimestre-ci, on a vu notre revenu d’intérêts net diminuer d’environ 7 %, malgré une croissance très solide ou raisonnable des prêts.
Cela s’explique principalement par la faiblesse des taux d’intérêt, la Fed ayant abaissé les taux à sa limite inférieure de zéro et, comme elle a essentiellement annoncé des taux nuls jusqu’en 2022 au moins, il est probable que cette situation continue d’être un obstacle au cours des prochains trimestres et des prochaines années.
Et qu’en est-il des évaluations? Sont-elles intéressantes en ce moment? Pensez-vous qu’elles peuvent augmenter?
Les titres des banques se négocient certainement à une très faible évaluation, 0,9 fois le cours par rapport à la valeur comptable. Ce sont des niveaux que nous n’avons pas vus depuis la grande crise financière il y a plus de dix ans.
La réalité, c’est que nous avons besoin d’un contexte économique plus favorable pour que les évaluations des titres des banques augmentent, ce qui se traduit en partie par une diminution des pertes sur prêts, mais peut-être aussi par des perspectives plus favorables à l’égard des taux d’intérêt.
Et sur quoi les investisseurs doivent-ils se concentrer à l’avenir?
Deux choses me viennent en tête. Je pense que la première chose est que si on devait faire une analogie, si c’était une partie de baseball typique à neuf manches, on en serait au tout début de la partie, peut-être à la troisième manche. Il y a donc beaucoup de choses qu’on ignore. La trajectoire des banques américaines dépend en grande partie des perspectives à l’égard du virus, qu’il y ait ou non un vaccin ou une deuxième vague. Nous n’en sommes qu’au tout début de l’histoire des banques américaines, d’autant plus que les pertes ont tendance à plafonner et à se matérialiser plus tard.
Par ailleurs, nous avons beaucoup parlé des bénéfices aujourd’hui, mais pour terminer sur une note plus positive, je dirais que le bilan des banques est très solide. La Réserve fédérale a publié les résultats de ses simulations de crise il y a quelques semaines et, à l’exception de quelques banques, les banques américaines à grande capitalisation affichent généralement un bilan très solide. Elles sont très bien capitalisées. Dans cette mesure, je m’attends à ce qu’elles puissent très bien résister à cette tempête, et leurs dividendes demeurent sûrs pour les investisseurs.
Monica, merci beaucoup d’avoir été là.
Excellent. Merci de m’avoir invitée, Anthony.
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