
La pandémie a accéléré la démondialisation au profit d’un protectionnisme croissant dans le monde. Anthony Okolie et Sohaib Shahid, économiste principal, Groupe Banque TD, discutent des risques que peuvent poser les politiques nationalistes pour la reprise économique mondiale et la stabilité géopolitique.
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[MUSIQUE]
Sohaib, vous avez rédigé un excellent rapport intitulé « Deglobalization and its Discontents » sur la façon dont la pandémie, en vos termes, suralimente la démondialisation. Mais avant d’entrer dans les détails, qu’est-ce que la mondialisation, et comment a-t-elle évolué au cours des dernières années?
Eh bien, la mondialisation est le terme que nous utilisons pour parler de l’interdépendance des économies, des cultures et de la population. Et cela comprend la circulation transfrontalière des biens, des services, de la technologie, des personnes, et même des idées.
Nous pouvons diviser la mondialisation moderne en trois phases. La première phase a commencé vers la fin du 19e siècle et a duré jusqu’à la Première Guerre mondiale. Cette phase a été caractérisée par une amélioration de la technologie qui a mené à l’introduction de la machine à vapeur, qui a réduit les coûts commerciaux et accru le commerce international.
La deuxième phase a commencé peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, et elle a été caractérisée par l’introduction d’institutions multilatérales, ce qui a encore une fois entraîné une augmentation du commerce international. Cette phase a pris fin vers la fin des années 1980, lorsque le mur de Berlin est tombé.
La troisième phase de mondialisation est survenue peu de temps après, et elle a été menée par les marchés émergents comme l’Inde et la Chine, et a été caractérisée par l’introduction de chaînes d’approvisionnement mondiales et une amélioration substantielle de la technologie.
Si vous regardez la période entre les deux guerres mondiales, elle a été caractérisée par la grippe espagnole et une dépression mondiale. Elle a également été caractérisée par la sortie de la Russie du système commercial mondial, ainsi que par l’instabilité monétaire. Maintenant, si on regarde tous ces aspects-là, ils nous font beaucoup penser à la période dans laquelle nous vivons aujourd’hui.
Et est-ce que cette transition vers la démondialisation a eu lieu avant l’arrivée de la pandémie?
Eh bien, peu de temps après la crise financière mondiale de 2008, les échanges commerciaux ont ralenti, en proportion du PIB mondial. Nous avons également assisté à une stagnation de l’investissement direct étranger et à un ralentissement des remises, en proportion de l’économie mondiale.
Et si vous regardez aussi les deux principales économies du monde, les États-Unis et la Chine, nous les avons vues devenir plus protectionnistes au cours des dernières années. Par exemple, ces dernières années, les États-Unis se sont repliés davantage sur eux-mêmes. Et ce n’est pas seulement le cas des États-Unis, mais aussi de la Chine depuis 2015, année où elle a adopté sa politique « Fabriqué en Chine », qui a fait en sorte qu’elle s’est elle aussi repliée sur elle-même. Alors, oui, le processus de démondialisation avait déjà commencé bien avant l’arrivée de la pandémie.
Alors, comment la pandémie accélère-t-elle la démondialisation, comme vous le dites?
La pandémie a beaucoup accéléré la démondialisation, et l’une des premières choses que nous avons remarquées, c’est que ça nous a permis de voir que nous dépendons trop des chaînes d’approvisionnement efficaces plutôt que résilientes. Et ça nous a également permis de constater que de nombreux pays imposent des mesures protectionnistes tout en invoquant la sécurité et la santé nationales pour justifier leurs mesures.
Par exemple, lorsque la pandémie a frappé pour la première fois, de nombreux pays ont interdit les exportations de produits chirurgicaux et de médicaments essentiels. Et lorsqu’un vaccin sera mis sur le marché, nous nous attendons à ce que les pays fassent quelque chose de très similaire.
Si on regarde la rhétorique des dirigeants mondiaux, ils nous disent que les prochaines années seront plus fermées, plus protectionnistes. Et cette rhétorique ne vient pas seulement de chefs ou de partis en particulier, mais de tous les horizons politiques.
Quel rôle le découplage entre les États-Unis et la Chine a-t-il joué pour accentuer cette tendance de démondialisation?
La pandémie a accéléré le découplage entre les États-Unis et la Chine, qui avait déjà lieu bien avant que la pandémie ne frappe. Et cela se produisait dans un monde qui s’éloignait d’un monde unipolaire mené par les États-Unis et qui se dirigeait vers un monde bipolaire dans lequel la Chine et les États-Unis se disputent la domination économique.
Et cette augmentation du découplage économique a aussi exacerbé le processus de démondialisation. Il y a beaucoup d’entreprises américaines basées en Chine qui trouvent rapidement des moyens de revenir aux États-Unis ou de s’installer dans des pays plus alliés avec les États-Unis.
Maintenant, je dirais une chose, c’est que tout genre de découplage économique est dangereux. La dernière fois qu’une telle situation s’est produite, c’était vers le début du 20e siècle, entre l’Allemagne, le Royaume-Uni et, plus tard, les États-Unis, et ça a entraîné la fin de la première PHASE de mondialisation, et contribué à deux guerres mondiales et aussi à la Grande Dépression.
Je crois que ça m’amène à ma prochaine question. Quels sont, selon vous, les dangers de la démondialisation à l’avenir?
Je commencerais par dire que la mondialisation a ses défauts, et qu’une bonne partie des changements qui y ont été apportés étaient attendus depuis longtemps. Mais trop de démondialisation trop tôt peut avoir des effets dévastateurs sur l’économie mondiale, qui peut prendre des décennies à s’en remettre.
Oui, les politiques protectionnistes peuvent maintenir des emplois au pays, rendre les entreprises autosuffisantes et plaire à une certaine partie de l’électorat, mais elles contribuent également à réduire l’innovation, la productivité et la croissance économique.
Et ce n’est pas seulement le protectionnisme qui entraîne une baisse de la croissance, mais aussi la baisse de la croissance qui alimente le protectionnisme. Donc, une fois que les pays sont pris dans ce cercle vicieux de protectionnisme et de faible croissance, c’est très difficile pour eux de s’en sortir.
Sohaib, merci beaucoup pour ces explications.
Merci.
[MUSIQUE]
Sohaib, vous avez rédigé un excellent rapport intitulé « Deglobalization and its Discontents » sur la façon dont la pandémie, en vos termes, suralimente la démondialisation. Mais avant d’entrer dans les détails, qu’est-ce que la mondialisation, et comment a-t-elle évolué au cours des dernières années?
Eh bien, la mondialisation est le terme que nous utilisons pour parler de l’interdépendance des économies, des cultures et de la population. Et cela comprend la circulation transfrontalière des biens, des services, de la technologie, des personnes, et même des idées.
Nous pouvons diviser la mondialisation moderne en trois phases. La première phase a commencé vers la fin du 19e siècle et a duré jusqu’à la Première Guerre mondiale. Cette phase a été caractérisée par une amélioration de la technologie qui a mené à l’introduction de la machine à vapeur, qui a réduit les coûts commerciaux et accru le commerce international.
La deuxième phase a commencé peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, et elle a été caractérisée par l’introduction d’institutions multilatérales, ce qui a encore une fois entraîné une augmentation du commerce international. Cette phase a pris fin vers la fin des années 1980, lorsque le mur de Berlin est tombé.
La troisième phase de mondialisation est survenue peu de temps après, et elle a été menée par les marchés émergents comme l’Inde et la Chine, et a été caractérisée par l’introduction de chaînes d’approvisionnement mondiales et une amélioration substantielle de la technologie.
Si vous regardez la période entre les deux guerres mondiales, elle a été caractérisée par la grippe espagnole et une dépression mondiale. Elle a également été caractérisée par la sortie de la Russie du système commercial mondial, ainsi que par l’instabilité monétaire. Maintenant, si on regarde tous ces aspects-là, ils nous font beaucoup penser à la période dans laquelle nous vivons aujourd’hui.
Et est-ce que cette transition vers la démondialisation a eu lieu avant l’arrivée de la pandémie?
Eh bien, peu de temps après la crise financière mondiale de 2008, les échanges commerciaux ont ralenti, en proportion du PIB mondial. Nous avons également assisté à une stagnation de l’investissement direct étranger et à un ralentissement des remises, en proportion de l’économie mondiale.
Et si vous regardez aussi les deux principales économies du monde, les États-Unis et la Chine, nous les avons vues devenir plus protectionnistes au cours des dernières années. Par exemple, ces dernières années, les États-Unis se sont repliés davantage sur eux-mêmes. Et ce n’est pas seulement le cas des États-Unis, mais aussi de la Chine depuis 2015, année où elle a adopté sa politique « Fabriqué en Chine », qui a fait en sorte qu’elle s’est elle aussi repliée sur elle-même. Alors, oui, le processus de démondialisation avait déjà commencé bien avant l’arrivée de la pandémie.
Alors, comment la pandémie accélère-t-elle la démondialisation, comme vous le dites?
La pandémie a beaucoup accéléré la démondialisation, et l’une des premières choses que nous avons remarquées, c’est que ça nous a permis de voir que nous dépendons trop des chaînes d’approvisionnement efficaces plutôt que résilientes. Et ça nous a également permis de constater que de nombreux pays imposent des mesures protectionnistes tout en invoquant la sécurité et la santé nationales pour justifier leurs mesures.
Par exemple, lorsque la pandémie a frappé pour la première fois, de nombreux pays ont interdit les exportations de produits chirurgicaux et de médicaments essentiels. Et lorsqu’un vaccin sera mis sur le marché, nous nous attendons à ce que les pays fassent quelque chose de très similaire.
Si on regarde la rhétorique des dirigeants mondiaux, ils nous disent que les prochaines années seront plus fermées, plus protectionnistes. Et cette rhétorique ne vient pas seulement de chefs ou de partis en particulier, mais de tous les horizons politiques.
Quel rôle le découplage entre les États-Unis et la Chine a-t-il joué pour accentuer cette tendance de démondialisation?
La pandémie a accéléré le découplage entre les États-Unis et la Chine, qui avait déjà lieu bien avant que la pandémie ne frappe. Et cela se produisait dans un monde qui s’éloignait d’un monde unipolaire mené par les États-Unis et qui se dirigeait vers un monde bipolaire dans lequel la Chine et les États-Unis se disputent la domination économique.
Et cette augmentation du découplage économique a aussi exacerbé le processus de démondialisation. Il y a beaucoup d’entreprises américaines basées en Chine qui trouvent rapidement des moyens de revenir aux États-Unis ou de s’installer dans des pays plus alliés avec les États-Unis.
Maintenant, je dirais une chose, c’est que tout genre de découplage économique est dangereux. La dernière fois qu’une telle situation s’est produite, c’était vers le début du 20e siècle, entre l’Allemagne, le Royaume-Uni et, plus tard, les États-Unis, et ça a entraîné la fin de la première PHASE de mondialisation, et contribué à deux guerres mondiales et aussi à la Grande Dépression.
Je crois que ça m’amène à ma prochaine question. Quels sont, selon vous, les dangers de la démondialisation à l’avenir?
Je commencerais par dire que la mondialisation a ses défauts, et qu’une bonne partie des changements qui y ont été apportés étaient attendus depuis longtemps. Mais trop de démondialisation trop tôt peut avoir des effets dévastateurs sur l’économie mondiale, qui peut prendre des décennies à s’en remettre.
Oui, les politiques protectionnistes peuvent maintenir des emplois au pays, rendre les entreprises autosuffisantes et plaire à une certaine partie de l’électorat, mais elles contribuent également à réduire l’innovation, la productivité et la croissance économique.
Et ce n’est pas seulement le protectionnisme qui entraîne une baisse de la croissance, mais aussi la baisse de la croissance qui alimente le protectionnisme. Donc, une fois que les pays sont pris dans ce cercle vicieux de protectionnisme et de faible croissance, c’est très difficile pour eux de s’en sortir.
Sohaib, merci beaucoup pour ces explications.
Merci.
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