
Les gouvernements ont mis en place d’importantes mesures budgétaires et monétaires à durée indéterminée pour affronter la pandémie de coronavirus. Ces mesures nécessiteront des emprunts massifs. Anthony Okolie et Sohaib Shahid, économiste principal, Groupe Banque TD, discutent des risques pour les grandes économies et des répercussions à long terme pour les futures générations.
Avec plaisir. La monétisation de la dette est un concept ambigu. En termes simples, c’est une augmentation permanente de l’argent en circulation dans le but de financer le gouvernement. Donc, quand une banque centrale achète de façon permanente sa dette publique pour financer le déficit de ce gouvernement, on peut alors parler de monétisation de la dette.
On peut aussi expliquer ce concept en disant ce que ce n’est pas. Ce n’est donc pas une simple opération sur le marché libre que les banques centrales font constamment pour atteindre les objectifs. Il ne s’agit pas non plus d’assouplissement quantitatif. Parce que, dans le cas d’un assouplissement quantitatif, les banques centrales ont toujours soutenu que leurs mesures étaient de nature temporaire.
Enfin, il ne s’agit pas non plus d’un hélicoptère monétaire, un terme qu’on entend souvent parce que, dans ce cas, la hausse de la dette du gouvernement peut être radiée par la banque centrale, ce qui ne se produit pas lors de la monétisation de la dette. De plus, lors d’un hélicoptère monétaire, la banque centrale peut transférer directement les fonds aux ménages sans devoir passer par le gouvernement. Encore une fois, ce n’est pas possible dans le cas de la monétisation de la dette.
Sohaib, quels sont les avantages et les risques de la monétisation de la dette?
Il est inutile de dire que la monétisation présente ses avantages quand elle est faite dans les bonnes circonstances et les bonnes conditions. Elle peut être particulièrement utile en période de récession, quand la demande est faible ou quand il y a un risque de déflation. Mais c’est une démarche risquée.
Pour que la monétisation fonctionne bien, des cadres opérationnel et juridique doivent être mis en place et la banque centrale doit être indépendante. Sans ces cadres, il y a un risque que les objectifs de la banque centrale ne consistent pas à cibler l’inflation pour financer le gouvernement. Si ça se produit, on risque alors une inflation élevée, ou pire, une hyperinflation.
Quelles ont été les répercussions des mesures prises pour faire face à la pandémie sur le portefeuille des gouvernements et le bilan des banques centrales?
On a pu constater une forte augmentation du bilan des gouvernements du monde entier. On a vu que les banques centrales à l’échelle de la planète ont tout fait pour assurer la disponibilité de liquidités et remonter la confiance des marchés. Par exemple, on a vu la Banque du Canada annoncer un programme d’achat d’actifs de grande envergure.
Dans le cadre de ce programme, la Banque achète une grande variété d’actifs. Ça inclut des obligations d’État, des obligations provinciales, des obligations de la SCHL et même des obligations de sociétés. Cette mesure de la Banque du Canada est non seulement importante, mais aussi bienvenue. Parce qu’elle arrive quand on s’attend à ce que les emprunts étrangers augmentent.
Il sera donc plus facile pour le gouvernement d’emprunter, comme on s’attend à ce qu’il le fasse au cours des prochains mois. Pour sa part, la Réserve fédérale a promis de procéder à un assouplissement quantitatif illimité, en plus d’acheter une vaste gamme d’actifs. En Europe, on constate que la Banque centrale européenne a également remué ciel et terre.
Elle a augmenté ses achats dans le cadre de son programme actuel d’achat d’actifs en plus de lancer un nouveau programme d’achat d’urgence pandémique. Elle a aussi annoncé qu’elle intégrait la dette publique grecque aux obligations qu’elle achetait. Cela fait partie de son assouplissement quantitatif. Plus important encore, elle a éliminé le plafond imposé quant au nombre d’obligations d’État qu’elle peut emprunter... qu’elle peut acheter de chaque économie de la zone euro.
Et que se passe-t-il du côté des marchés émergents? Ils ont assurément été touchés par la COVID eux aussi. De quelle façon ont-ils été touchés?
Eh bien, les marchés émergents suivent de près. Regardez la Banque centrale des Philippines, de l’Afrique du Sud et de la Colombie! Elles font toutes de l’assouplissement quantitatif. Les Banques centrales de certains marchés émergents sont même allées un peu plus loin.
Celles du Brésil et de l’Indonésie, par exemple, ont commencé à directement acheter la dette publique. Les mesures d’assouplissement quantitatif dans les marchés émergents ont contribué à assouplir les conditions financières, mais elles risquent de donner lieu à un faible taux de change sans point d’ancrage.
Quelles sont les conséquences à long terme de l’énorme déficit du Canada? Qu’est-ce que ça signifie pour les futures générations?
Eh bien, il ne fait aucun doute que les finances du Canada ont subi un énorme choc. Cette pandémie a entraîné une forte augmentation des déficits budgétaires du Canada. Et on doit se demander si le gouvernement sera en mesure d’assurer la qualité de vie des futures générations alors qu’il cherchera à rembourser sa dette.
La réponse dépend de la capacité du gouvernement à s’acquitter du service de sa dette. Ce qu’il faut vraiment regarder, c’est comment le gouvernement amortira la dette. Enfin, la bonne nouvelle, c’est que les taux d’intérêt sont bas. Ça aide. Par contre, si la croissance reste faible trop longtemps ou si la remontée après la crise est plus faible que prévu, il pourrait être plus difficile d’assurer le service de la dette.
Tout dépend de la rapidité avec laquelle le pays va se relever de la crise économique. Plus ça prendra du temps, plus la croissance sera faible et plus il sera difficile de rembourser la dette. Ce que le gouvernement peut faire, c’est d’augmenter les impôts à l’avenir pour compenser la perte de revenus aujourd’hui. Mais si la Banque centrale intervient et monétise la dette publique, cette augmentation des impôts pourrait ne pas être requise.
Sohaib, merci beaucoup pour vos explications aujourd’hui.
Merci.
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