Un nouveau rapport des Services économiques TD met en lumière la détérioration de la productivité des travailleurs au Canada et ses répercussions potentielles sur l’économie. James Orlando, directeur et économiste principal à la TD, discute avec Greg Bonnell du déclin de la productivité, des répercussions économiques et des mesures à prendre pour régler le problème.
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[LOGO SONORE] * De mal en pis. Telle est la description que fait le dernier rapport des Services économiques TD de l’état de la productivité au Canada. Le rapport indique aussi que s’il n’est pas réglé, le problème mettra notre niveau de vie en péril. Pour en savoir plus, voici James Orlando, directeur et économiste principal à la TD. James, ravi de vous accueillir. * Merci beaucoup. * Allons-y. Ce rapport est très intrigant. Il y a beaucoup à décortiquer. Tout d’abord, la productivité canadienne a un problème. Comment en est-on arrivés là? * La productivité, en soi, c’est la façon dont on utilise le temps. Est-ce qu’on l’utilise efficacement? Peut-on gagner en efficacité? On peut s’interroger sur ce qui rend les travailleurs canadiens plus efficaces. Est-ce qu’on leur donne les outils nécessaires? Est-ce que les entreprises investissent suffisamment? La réponse est non. Nous n’investissons pas suffisamment. Plus important encore, avons-nous créé au Canada un contexte qui incite les entreprises à investir? Avons-nous le bon système fiscal pour les inciter à le faire? * Même notre stratégie démographique est défavorable. Le fait que le gouvernement autorise tant de résidents non permanents à occuper des emplois dans des secteurs à bas salaires incite les entreprises à embaucher des employés à faible salaire plutôt que d’investir. Les mesures incitatives vont donc dans le mauvais sens à cet égard. Le problème, c’est qu’il y a toute une série de facteurs problématiques – la réglementation, la fiscalité, la politique d’immigration. Tous ces facteurs ont contribué à cette dégringolade d’une bonne productivité au Canada, probablement le moteur de notre croissance, à une productivité nulle, d’où la faiblesse de la croissance économique au pays. * On a un graphique à montrer pour illustrer les problèmes de productivité au pays. C’est vraiment frappant. On voit les années 80, 90, 2000 et voilà où on en est aujourd’hui. On voit la flèche bondir dans le vide. Ça ne me dit rien de bon. * Ça n’incite pas à l’optimisme. C’est certain. Ce graphique montre ce qui s’est passé depuis la pandémie. Avant la pandémie, la croissance était raisonnable, avec une croissance de productivité de 1 à 1,6 %. C’est très raisonnable sachant que la population a augmenté de 1 % au cours de cette période. Quand la productivité n’augmente plus, comme c’est le cas aujourd’hui, on en déduit qu’on ne donne pas aux travailleurs les moyens d’utiliser leur temps de façon plus productive. * Les travailleurs en souffrent aussi, parce qu’en accomplissant davantage à chaque heure de travail, on peut exiger un salaire plus élevé et améliorer sa qualité de vie. Je crois qu’on constate ce phénomène partout au pays. Notre niveau de vie ne progresse pas à cause de ce que montre ce graphique. * Parlons des aspects les plus marquants du rapport. Pour moi, il y a le fait qu’on est de moins en moins bons à produire des choses. Pourquoi? * Oui. Dans notre catégorisation, ces choses sont des biens. * Oui. * Des biens matériels. Il s’agit de l’industrie manufacturière. C’est vraiment ce qui vient d’abord en tête quand on parle de productivité. On imagine une usine et on se dit qu’on a tel nombre de travailleurs sur une chaîne de montage qui produisent telle quantité de biens. Si on installe une nouvelle chaîne de montage plus robotisée, on n’aura pas besoin d’autant d’ouvriers, mais ils feront peut-être autre chose. On peut aussi penser à d’autres secteurs qui nécessitent du service à la clientèle. Ces travailleurs pourraient – Au lieu de... Par exemple, si je veux commander un repas et que je dois appeler, quelqu’un doit répondre à tous les appels au lieu qu’un système automatisé me permette de commander plus de plats. Tout cela relève de la productivité. Mais on a remarqué que la plus grande faiblesse de productivité ne se situe pas dans les services, mais dans la production de biens. Dans les secteurs manufacturiers et de la construction, la productivité est devenue négative. On produit donc de moins en moins efficacement. La production diminue pour chaque heure travaillée. C’est une très mauvaise nouvelle pour ces secteurs. * Vous parlez du secteur de la construction. C’est ce qui m’a le plus marqué dans ce rapport. Le pire du lot. On dit tout le temps qu’on a besoin de plus de logements, de plus d’infrastructures au pays. Pour ça, il faut construire. Alors, qu’est-ce qui se passe? * On a besoin de la construction. On en a besoin. On doit construire plus de logements au Canada. On sait que l’offre de logements n’a pas suivi l’évolution de la population. Pourtant, la productivité diminue depuis 40 ans dans le secteur de la construction. Ce déclin se produit alors qu’on construit de plus en plus de logements. À chaque chantier, on a de plus en plus de mal à faire sortir des logements de terre. C’est d’autant plus grave que la tendance démographique n’est pas près de s’inverser. * La demande demeure supérieure à l’offre et cette situation n’est pas près de changer. Si on pense à la réglementation, aux permis de construire et à la taille des entreprises, il y a tellement de petites entreprises au Canada. Nous n’avons pas la capacité d’accroître la production de logements en rendant nos travailleurs plus productifs. * Voici un autre graphique qui montre le nombre d’heures travaillées. Que révèle ce graphique? * Il montre qu’en réalité, la construction représente une part de plus en plus importante dans l’économie. Ce secteur est donc de plus en plus important pour notre économie. Et on en a besoin, bien sûr. En parallèle, le nombre d’heures travaillées dans le secteur manufacturier est en baisse. On pense toujours à la productivité dans le secteur manufacturier, mais c’est tout l’objet du rapport, à savoir que la construction prend de plus en plus d’importance. Quand on pense à la productivité, on ne peut plus simplement se demander comment rendre les ouvriers d’usine plus efficaces. * Dans beaucoup de secteurs, on n’a jamais réfléchi à la productivité et toute la question est là : peut-on construire différemment? Il y a les maisons préfabriquées. C’est peut-être une solution. Mais on parle d’investissement, de compétences, de tout ce qui amènera les réglementations et la fiscalité à un niveau qui incitera les entreprises à investir pour que les travailleurs deviennent plus efficaces. Dans ce secteur, on attend toujours. La situation va être préoccupante, car on n’est pas près de voir les besoins en construction diminuer au pays. * Il ne nous reste qu’une petite minute. C’est très injuste de vous demander comment régler tous ces problèmes en une minute, mais allez-y. [RIRES] * On peut faire énormément de choses différentes. Pour nous, le principe est de ne pas nuire. Chaque année, de nouvelles politiques ou de nouvelles taxes sont introduites et changent le paysage, ce qui incite les entreprises à moins investir. On doit rendre l’impôt sur les sociétés plus efficace. On doit simplifier la fiscalité. On doit s’assurer de faire venir des gens qualifiés, des gens qui enrichissent les compétences du pays. * On doit encourager les entreprises, la création d’entreprises et leur développement, pas seulement à l’échelle du Canada ou d’une province, mais sur la scène mondiale. Comment peut-on aider ces entreprises à prospérer? Pour les entreprises existantes, comment peut-on les inciter à investir? Elles se disent qu’il suffit d’embaucher quelqu’un qui ne va pas coûter cher. * Le problème est plus vite réglé et on fait comme ça depuis des décennies. À la place, peut-on les inciter à investir dans de nouvelles technologies, à investir à long terme dans l’entreprise pour la développer? Il faut axer toute la réflexion autour du développement. Je crois que l’investissement, la simplification des régimes fiscaux et la simplification des réglementations contribueront grandement à y parvenir. [LOGO SONORE] [MUSIQUE]