Le succès entraîne le bonheur, non? Shawn Achor, psychologue à Harvard, affirme que nous nous y prenons probablement mal. Lors du Sommet sur le rendement des dirigeants (Executive Performance Summit), commandité par Gestion de patrimoine TD, Kim Parlee s’entretient avec l’auteur du livre Comment devenir un optimiste contagieux dans le cadre d’une entrevue exclusive à MoneyTalk.
Alors... ça m’emballe depuis cette époque. Oui. Chacun doit être une licorne. Vous êtes allé dans je ne sais plus combien de pays, avez parlé à des gens variés, des gens confrontés à des situations extrêmement difficiles. Parlez-moi de certains de vos voyages les plus marquants pour ce qui est de vous faire vous interroger sur ce qui faisait que les gens étaient heureux, malgré la situation où ils se trouvaient. J’ai été étonné. J’ai effectué ce travail de recherche alors que j’étudiais à Harvard. Ayant grandi dans une petite ville du Texas, je croyais que Harvard vous rendait heureux pour le reste de vos jours, or j’ai découvert que 80 % des étudiants souffraient de dépression. J’ai commencé à me rendre compte que le monde extérieur n’est pas un bon facteur prédictif de bonheur. Je me suis ensuite rendu dans plus de 50 pays, dans des endroits comme le Zimbabwe où... nous pouvons parler de problèmes économiques et politiques aux États-Unis, au Canada ou ailleurs dans le monde... au Zimbabwe, j’ai parlé à des fermiers qui ont perdu leurs terres et transportent leur argent dans une brouette, parce que leur monnaie s’est effondrée. Ce sont des trillionnaires, n’est-ce pas? Oui. Ils m’ont demandé si j’avais parlé à des milliardaires. Les trillionnaires... ils étaient tous trillionnaires, beaucoup d’entre eux, mais leur monnaie ne valait rien. Ce que nous avons constaté, c’est qu’ils pouvaient encore être très heureux, s’ils avaient encore le lien social. Nous avons commencé à prendre conscience... Je visite des écoles en Afrique du Sud. Un sol en terre battue, pas de livres et des enfants souriants, heureux et enthousiastes. S’ils avaient un livre, ils feraient cercle autour et le liraient ensemble. Et je voyage aux États-Unis, je voyage dans l’Ouest et en Europe, et les gens ont tellement de choses, mais ils ont le sentiment d’avoir droit à cela. Ou ne se rendent pas compte de ce qu’ils ont. Ce que nous avons commencé à faire au cours de notre enquête sur eux... et il y a des chercheurs fantastiques qui ont étudié cela... que 10 % seulement de notre bonheur sur longue période est lié au monde extérieur. Nous avons rassemblé les informations sur le monde extérieur, combien d’argent vous avez, l’endroit où vous vivez, le poste que vous occupez : elles ne déterminent que 10 % du bonheur sur longue période. 90 % du bonheur durable procède de la façon dont l’esprit considère le monde qui l’entoure. Comment considérez-vous votre unique livre? Le million de jouets que vous avez? Si nous pouvions modifier le regard d’une personne, nous pourrions l’amener à choisir le bonheur, à le trouver où qu’elle soit dans le monde. Ce qui est formidable, c’est que nous apprenons auprès de gens très variés, qui ont des définitions très variées du bonheur. Ensemble, je pense que nous pouvons découvrir des façons de faire évoluer les gens. L’idée que 90 % du bonheur vient de votre fors intérieur, quand on y pense, c’est fascinant. Autre point intéressant, vous parlez beaucoup du fait que, si vous êtes heureux, vous êtes plus productif. Le bonheur en lui-même était probablement le but au départ, mais comment y arriver? Je comprends ce que vous dites, que le monde extérieur n’est pas vraiment important en définitive ou n’est pas très important. Que dois-je faire pour être plus heureuse? Oui. Tout d’abord, je suis d’accord avec vous. Je pense que le bonheur est à la fois le moyen et la fin. Il est ce qui nous pousse à évoluer et à développer notre potentiel, mais c’est aussi le but à atteindre. C’est l’état de bonheur, pas uniquement le plaisir. C’est la joie que nous procure le fait de réaliser notre potentiel. La façon d’y arriver est double, je pense. Il nous fait changer notre façon de penser, puis notre comportement. En ce qui concerne notre façon de penser, il faut comprendre que le bonheur est important maintenant. Souvent, nous nous disons : si je travaille plus fort, je réussirai mieux. Par conséquent, je serai plus heureux. Une fois tous ces problèmes résolus, je serai plus heureux. Une fois que j’aurai changé ces choses, le monde, je serai plus heureux, mais si nous agissons ainsi, chaque fois que nous réussissons, nous ne faisons que changer ce à quoi ressemble la réussite. Le bonheur est remis sans cesse à plus tard. Nous ratons la chance d’être heureux maintenant. Ce que nous pouvons faire dans l’instant présent, c’est cultiver la gratitude. Nous pouvons approfondir notre lien social. Modifier notre façon de considérer le stress. Comment? Et ça cause tout cela. Une des meilleures façons... laissez-moi vous en mentionner deux que j’aime beaucoup. L’une d’elles... deux chercheurs, Emmons et McCullough, ont étudié l’effet de la gratitude. Pendant 21 jours d’affilée, des gens, tous les matins, pensaient à trois choses qui leur faisaient éprouver de la reconnaissance. Nous savons que la gratitude fait du bien, mais ne la cultivons pas de la bonne façon. C’est de l’hygiène du bonheur dont nous parlons. Oui. Tout à fait. Oui. Nous nous brossons les dents tous les jours. Pendant que vous vous brossez les dents, pensez à trois nouvelles choses, survenues depuis 24 heures, qui font que vous éprouvez de la reconnaissance. Et pas seulement au quoi, mais au pourquoi de la reconnaissance. Je ne suis pas seulement reconnaissant envers mon fils, je suis reconnaissant envers lui parce qu’il m’a serré dans ses bras hier. Je suis aimé inconditionnellement. Au bout de 21 jours, cela fera 63 choses pour lesquelles vous serez reconnaissant. Le réel intérêt, c’est que pendant le reste de la journée votre cerveau affectera des ressources, comme une application exécutée en arrière-plan, à la recherche de choses, dans le monde, pour lesquelles vous êtes reconnaissant, même quand vous serez à guetter le danger. Vous serez en mesure de percevoir toutes ces bonnes choses. Le réel intérêt, c’est que, 21 jours plus tard, les gens légèrement pessimistes à l’aune des tests étaient devenus légèrement optimistes par défaut. Leur état par défaut était devenu l’optimisme. Six mois plus tard, le scénario se poursuit, si vous continuez. La gratitude est bénéfique parce qu’elle transforme le cerveau en machine génératrice rationnelle d’optimisme. L’autre méthode a été d’avoir une activité tournée vers l’extérieur tous les matins. La gratitude est tournée vers l’intérieur. Nous avons demandé aux gens de rédiger un courriel positif de deux minutes chaque jour à une personne différente pendant 21 jours. Si vous faites cela... les féliciter ou les remercier pour quelque chose, par message texte ou courriel, vous recevez en réponse des courriels formidables. Au bout de 21 jours, votre score au chapitre du lien social ... l’étendue, la profondeur et le sens du lien social... vous situe dans le quartile supérieur, ce qui est important parce que le lien social est le plus important facteur de bonheur. Et un facteur prédictif de longévité aussi sûr que l’obésité, l’hypertension, le tabagisme. Amener quelqu’un à pouvoir créer un lien social au moyen d’un courriel positif transforme une tâche ennuyeuse comme la rédaction d’un courriel en quelque chose de vivifiant et renforce le plus important facteur prédictif de bonheur durable. Cela montre que deux minutes par jour peuvent transformer notre façon d’appréhender le monde. Nous voyons l’optimisme comme quelque chose de génétique, n’est-ce pas? Mais grâce à ces habitudes simples, qui ne prennent que deux minutes, nous pouvons vaincre l’emprise des gênes et du milieu sur notre bonheur. Je regardais quelque chose que vous avez fait, alors que vous parliez à des gens chez Google, je pense, récemment. Oui. Il était question de comprendre comment l’extérieur ne vous satisfait pas. Vous parliez de ce que cette femme a dit... Vous devriez vivre une extase permanente. Vous avez travaillé chez Google. Elle s’est plainte de la file d’attente pour avoir du sushi. Oui. C’est fascinant que, même lorsque vous disposez de toutes ces choses parfaites... Oui. Vous n’en êtes pas conscient. C’est vrai. Ça ne se résume pas au monde extérieur, car on s’y habitue, n’est-ce pas? Chez Google, on se lasse des sushis gratuits après un petit moment, parce qu’on s’y attend. Ou pourquoi le siège des toilettes n’est-il pas chauffé? D’accord? Comment puis-je travailler ici? D’accord? J’ai travaillé avec certains des dirigeants de Google. Ils m’ont dit que ce n’est pas ce qui motive leur personnel. C’est le lien social vécu pendant les longues heures. C’est le sentiment de jouer un rôle dans la réalisation des projets. C’est de voir votre potentiel émerger. Et c’est pourquoi il est si crucial de redéfinir le bonheur. Ce n’est pas le plaisir. C’est la joie liée au fait de développer son potentiel. La joie que nous pouvons éprouver même lorsque la vie n’est pas agréable. Même face aux fluctuations des marchés, même avec le stress que vous pouvez ressentir dans votre propre vie ou avec une boîte de réception qui déborde... Vous allez connaître beaucoup de stress. Vous pourrez parfois être mécontent, mais pourrez ressentir de la joie en voyant votre potentiel émerger, vos aptitudes s’affirmer. Vous aidez le monde à devenir meilleur. L’autre facette de cela, que j’adore, c’est que le bonheur nourrit votre potentiel. C’est l’atout le plus précieux que vous pouvez fournir à votre cerveau. Lorsque nous choisissons le bonheur, que nous le choisissions individuellement, cela accroît notre taux de réussite dans nos rapports avec le monde. Cela ne nous rend pas suffisants. Cela nous aide à résoudre les problèmes que nous devons résoudre dans ce monde. Une dernière question. Je parcourais certains des textes que vous avez écrits déjà. Vous aviez cette chose formidable, très tactique au sujet des accélérateurs de réussite. Il était question, je crois, de dresser une liste de choses à faire. Y inscrire deux choses que vous avez déjà accomplies, de façon à pouvoir les rayer et aller de l’avant! Ça paraît si simple, mais deux choses aident le cerveau à réaliser plus rapidement un but. C’est soit percevoir le progrès réalisé soit sentir que le fil d’arrivée est proche, ce que nous appelons la proximité. Et alors nous aidons le cerveau à constater le progrès réalisé... Si vous dressez une liste de choses à faire pendant la journée, vous inscrivez cinq choses, 10 choses que vous devez faire, mais également deux ou trois que vous avez déjà faites. J’ai déjà pris le petit déjeuner. J’ai déjà vu mes enfants. Je me suis brossé les dents. Et vous vérifiez... J’ai déjà dressé une liste. [RIRE] Vous inscrivez ces choses et vous les cochez. Ce que voit le cerveau, c’est : je ne pars pas de 0 %, je pars de 30 % ou de 20 % de ce que je dois accomplir pendant la journée. J’ai progressé. Et votre cerveau se hâte d’atteindre ce but. De même pour les résolutions du Nouvel An. La première chose que je sais, c’est que, si je me fixe un but... et ce n’est pas que sur le plan personnel, cela vaut aussi pour les entreprises. Si vous fixez des objectifs d’équipe ou un objectif de ventes, vous ne partez pas de 0 %. Vous tâchez de souligner d’abord les résultats déjà obtenus. Alors, si je rédige des résolutions du Nouvel An, je citerai d’abord trois choses que j’ai su réaliser l’année précédente, qui m’ont causé une surprise. J’ai lu tant de livres, couru le mille en tant de minutes, fait une soupe au poulet tant de fois. J’indique ensuite les choses que je veux faire, je ne pars pas de zéro. Je ne suis pas en déficit au départ. J’ai des réalisations à mon actif! Mon comportement compte! Je peux accomplir des choses! Cela stimule l’effort du cerveau pour atteindre le but. Shawn, je continuerais, mais je ne peux pas. Je pense que vous devriez monter sur scène. J’aimerais bien! Merci beaucoup! Cela a été très agréable de parler avec vous. Vous aussi. Et rappelez-vous de consulter votre conseiller, avocat ou comptable pour déterminer ce qui est le mieux pour vous.