
Deux des plus importantes sociétés ferroviaires du Canada sont engagées dans une bataille d’offres pour faire l’acquisition d’un rival des États-Unis, ce qui transformerait le paysage du transport ferroviaire. Kim Parlee parle avec l’auteur Howard Green de l’état actuel de l’industrie ferroviaire.
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La compagnie ferroviaire américaine Kansas City Southern fait l’objet d’une surenchère entre le Canadien National et le Canadien Pacifique. Le CN vient de faire une offre d’achat en espèces et en actions de 33 milliards qui éclipse celle de son rival, le CP. À la clé de cette opération, le tout premier réseau ferroviaire à relier le Canada, les États-Unis et le Mexique.
Pour en savoir plus, j’accueille Howard Green, le célèbre auteur de Railroader : the Unfiltered Genius and Controversy of Four-Time CEO Hunter Harrison. J’imagine que vous avez déjà répondu à une avalanche de questions sur les chemins de fer. Mais pouvons-nous prendre un peu de recul là-dessus? Pourquoi Kansas City Southern suscite-t-elle tant d’intérêt?
Parce que c’est sans doute la seule compagnie qu’on peut acheter, Kim. C’est la plus petite des sept grandes sociétés ferroviaires nord-américaines, celles de la catégorie 1. Les fusions entre grandes sociétés ferroviaires sont bloquées depuis plus de 20 ans. Mais on pense que pour Kansas City Southern, la plus petite d’entre elles, l’acquisition aurait des chances d’être approuvée.
À qui l’acquisition profiterait-elle le plus, à votre avis, le CN ou le CP? Qu’est-ce que ça changerait pour chacune de ces sociétés?
Eh bien, c’est difficile à dire. Je crois que cette acquisition serait extrêmement profitable pour les deux sociétés. Il faut se pencher sur la situation des sociétés de chemin de fer. Pendant plusieurs décennies, en particulier à l’époque de Hunter Harrison, elles ont mis l’accent sur l’efficacité, sur la réduction de ce qu’on appelle le ratio d’exploitation entre les dépenses et les revenus. Elles ont toutes rabaissé ce ratio pour atteindre un très bon niveau de rentabilité. Il ne reste pas grand-chose à faire, à moins de mettre le désordre dans ces entreprises.
Quelle est l’autre partie de l’équation? La croissance. Comment stimuler la croissance? En achetant quelque chose. Et la seule société ferroviaire dont l’achat a une chance d’être approuvé par le Surface Transportation Board, l’organisme de réglementation compétent, c’est Kansas City Southern – c’est donc une occasion très stratégique pour le CN et le CP de relier le Canada au Mexique en traversant les États-Unis, surtout avec la renégociation de l’ALENA, rebaptisé Accord États-Unis-Mexique-Canada.
Vous avez dit à quelques reprises que c’est l’une des rares acquisitions susceptibles d’être approuvées.
Parlez-nous du contexte : comment est-ce perçu par les organismes de réglementation?
En réalité, il n’y a qu’un seul organisme de réglementation aux États-Unis, le Surface Transportation Board. Et c’est cet organisme qui a imposé un moratoire sur les fusions de grandes sociétés ferroviaires en 2000, quand le CN tentait d’acheter Burlington Northern Santa Fe, que Warren Buffett a ensuite acheté par l’entremise de Berkshire Hathaway. Il n’a pas eu besoin d’approbation, parce qu’il ne s’agissait pas d’une fusion.
Depuis, il n’y a pas eu d’autres achats. Hunter Harrison a tenté quelques acquisitions quand il dirigeait le Canadien Pacifique, d’abord avec CSX, puis avec Norfolk Southern. Ni l’une ni l’autre n’a dépassé le stade des négociations ou des offres hostiles d’achat, dans le cas de Norfolk Southern. Le Surface Transportation Board n’a jamais eu à décider d’approuver ou non ces opérations. Mais depuis longtemps, Kansas City Southern semble la seule acquisition réalisable.
Et le CN voulait... Paul Tellier, qui dirigeait le CN avant Hunter Harrison, il y a une vingtaine d’années, voulait acheter Kansas City Southern après Illinois Central. C’était vraiment la première acquisition liée à l’ALENA. C’est ce qui a amené Hunter au Canada. Mais il voulait acheter Kansas City Southern. Hunter a renoncé. Il n’a jamais aimé l’exposition au Mexique.
Mais les temps ont changé. Il y a tellement d’échanges, de délocalisations intérieures plutôt qu’à l’étranger, de choses fabriquées au Mexique... comme les pièces automobiles qui doivent être expédiées.
Le transport ferroviaire est moins cher que le camionnage, et plus écologique. Ça suscite beaucoup d’intérêt en ce moment.
C’est intéressant, parce qu’on parle de ces fusions de grandes sociétés nord-américaines, alors que les deux prétendants sont canadiens et sont établis dans différentes régions du Canada. Quelles seraient les répercussions pour ces sociétés, pour notre économie, pour les actionnaires, et peut-être même pour les villes où le siège social de chacune de ces compagnies est implanté?
Franchement, je crois que c’est surtout une question de rivalité. Aucune des deux ne veut que l’autre sorte gagnante. Ça fait longtemps que c’est dans le collimateur du CN. D’ailleurs, j’ai entendu dire que le CN avait déjà failli faire une offre pour acheter Kansas City Southern, il y a quelques années. Puis Trump a été élu à la présidence. On anticipait des problèmes avec le Mexique, avec le mur, etc. et ils ont reculé.
Hunter a envisagé cette acquisition quand il dirigeait le CP, mais il a reculé pour se tourner vers CSX et Norfolk Southern. Aujourd’hui, c’est vraiment la seule option qui semble tenir la route, et aucune des deux sociétés ne veut que l’autre sorte gagnante. Je suis certain que quand le CP a annoncé son offre il y a un mois, les dirigeants du CN étaient verts de rage.
Maintenant, les dirigeants du CP... Je suis sûr qu’ils s’attendaient à une réaction du CN. Ils connaissent bien leur concurrent. Mais voilà où on en est. C’est la surenchère, et ça va leur coûter plus cher. Je suis certain qu’ils ne veulent pas lâcher le morceau. Ils ont consacré beaucoup d’efforts à ce projet. Et je ne fais pas de prédictions. Mais ce ne serait pas étonnant de voir une deuxième offre de la part du CP.
Je sais que vous ne faites pas de prédictions, vous venez de le dire. Mais à votre avis, laquelle de ces deux sociétés veut le plus cette acquisition? On peut s’attendre à ce que le CP fasse une nouvelle offre. Je crois que ça n’étonnerait personne. Mais qui, selon vous, a les moyens d’aller jusqu’au bout?
Je ne sais pas. Je ne sais pas. Keith Creel, le chef de la direction du CP, semble avoir pris l’initiative. Et ce serait une immense réalisation pour lui, sur le plan personnel, si ça marchait. Je crois qu’il joue gros sur cette opération. Mais dans le même ordre d’idée, le Canadien National... c’est une grande société.
Les deux compagnies veulent prendre de l’ampleur. Pour être honnête, je ne sais pas qui a le plus d’essence dans le réservoir. Mais je suis certain que nous en reparlerons, si je peux m’exprimer ainsi.
Ce serait avec plaisir, Howard. Merci beaucoup.
Merci, Kim.
[MUSIQUE]
Pour en savoir plus, j’accueille Howard Green, le célèbre auteur de Railroader : the Unfiltered Genius and Controversy of Four-Time CEO Hunter Harrison. J’imagine que vous avez déjà répondu à une avalanche de questions sur les chemins de fer. Mais pouvons-nous prendre un peu de recul là-dessus? Pourquoi Kansas City Southern suscite-t-elle tant d’intérêt?
Parce que c’est sans doute la seule compagnie qu’on peut acheter, Kim. C’est la plus petite des sept grandes sociétés ferroviaires nord-américaines, celles de la catégorie 1. Les fusions entre grandes sociétés ferroviaires sont bloquées depuis plus de 20 ans. Mais on pense que pour Kansas City Southern, la plus petite d’entre elles, l’acquisition aurait des chances d’être approuvée.
À qui l’acquisition profiterait-elle le plus, à votre avis, le CN ou le CP? Qu’est-ce que ça changerait pour chacune de ces sociétés?
Eh bien, c’est difficile à dire. Je crois que cette acquisition serait extrêmement profitable pour les deux sociétés. Il faut se pencher sur la situation des sociétés de chemin de fer. Pendant plusieurs décennies, en particulier à l’époque de Hunter Harrison, elles ont mis l’accent sur l’efficacité, sur la réduction de ce qu’on appelle le ratio d’exploitation entre les dépenses et les revenus. Elles ont toutes rabaissé ce ratio pour atteindre un très bon niveau de rentabilité. Il ne reste pas grand-chose à faire, à moins de mettre le désordre dans ces entreprises.
Quelle est l’autre partie de l’équation? La croissance. Comment stimuler la croissance? En achetant quelque chose. Et la seule société ferroviaire dont l’achat a une chance d’être approuvé par le Surface Transportation Board, l’organisme de réglementation compétent, c’est Kansas City Southern – c’est donc une occasion très stratégique pour le CN et le CP de relier le Canada au Mexique en traversant les États-Unis, surtout avec la renégociation de l’ALENA, rebaptisé Accord États-Unis-Mexique-Canada.
Vous avez dit à quelques reprises que c’est l’une des rares acquisitions susceptibles d’être approuvées.
Parlez-nous du contexte : comment est-ce perçu par les organismes de réglementation?
En réalité, il n’y a qu’un seul organisme de réglementation aux États-Unis, le Surface Transportation Board. Et c’est cet organisme qui a imposé un moratoire sur les fusions de grandes sociétés ferroviaires en 2000, quand le CN tentait d’acheter Burlington Northern Santa Fe, que Warren Buffett a ensuite acheté par l’entremise de Berkshire Hathaway. Il n’a pas eu besoin d’approbation, parce qu’il ne s’agissait pas d’une fusion.
Depuis, il n’y a pas eu d’autres achats. Hunter Harrison a tenté quelques acquisitions quand il dirigeait le Canadien Pacifique, d’abord avec CSX, puis avec Norfolk Southern. Ni l’une ni l’autre n’a dépassé le stade des négociations ou des offres hostiles d’achat, dans le cas de Norfolk Southern. Le Surface Transportation Board n’a jamais eu à décider d’approuver ou non ces opérations. Mais depuis longtemps, Kansas City Southern semble la seule acquisition réalisable.
Et le CN voulait... Paul Tellier, qui dirigeait le CN avant Hunter Harrison, il y a une vingtaine d’années, voulait acheter Kansas City Southern après Illinois Central. C’était vraiment la première acquisition liée à l’ALENA. C’est ce qui a amené Hunter au Canada. Mais il voulait acheter Kansas City Southern. Hunter a renoncé. Il n’a jamais aimé l’exposition au Mexique.
Mais les temps ont changé. Il y a tellement d’échanges, de délocalisations intérieures plutôt qu’à l’étranger, de choses fabriquées au Mexique... comme les pièces automobiles qui doivent être expédiées.
Le transport ferroviaire est moins cher que le camionnage, et plus écologique. Ça suscite beaucoup d’intérêt en ce moment.
C’est intéressant, parce qu’on parle de ces fusions de grandes sociétés nord-américaines, alors que les deux prétendants sont canadiens et sont établis dans différentes régions du Canada. Quelles seraient les répercussions pour ces sociétés, pour notre économie, pour les actionnaires, et peut-être même pour les villes où le siège social de chacune de ces compagnies est implanté?
Franchement, je crois que c’est surtout une question de rivalité. Aucune des deux ne veut que l’autre sorte gagnante. Ça fait longtemps que c’est dans le collimateur du CN. D’ailleurs, j’ai entendu dire que le CN avait déjà failli faire une offre pour acheter Kansas City Southern, il y a quelques années. Puis Trump a été élu à la présidence. On anticipait des problèmes avec le Mexique, avec le mur, etc. et ils ont reculé.
Hunter a envisagé cette acquisition quand il dirigeait le CP, mais il a reculé pour se tourner vers CSX et Norfolk Southern. Aujourd’hui, c’est vraiment la seule option qui semble tenir la route, et aucune des deux sociétés ne veut que l’autre sorte gagnante. Je suis certain que quand le CP a annoncé son offre il y a un mois, les dirigeants du CN étaient verts de rage.
Maintenant, les dirigeants du CP... Je suis sûr qu’ils s’attendaient à une réaction du CN. Ils connaissent bien leur concurrent. Mais voilà où on en est. C’est la surenchère, et ça va leur coûter plus cher. Je suis certain qu’ils ne veulent pas lâcher le morceau. Ils ont consacré beaucoup d’efforts à ce projet. Et je ne fais pas de prédictions. Mais ce ne serait pas étonnant de voir une deuxième offre de la part du CP.
Je sais que vous ne faites pas de prédictions, vous venez de le dire. Mais à votre avis, laquelle de ces deux sociétés veut le plus cette acquisition? On peut s’attendre à ce que le CP fasse une nouvelle offre. Je crois que ça n’étonnerait personne. Mais qui, selon vous, a les moyens d’aller jusqu’au bout?
Je ne sais pas. Je ne sais pas. Keith Creel, le chef de la direction du CP, semble avoir pris l’initiative. Et ce serait une immense réalisation pour lui, sur le plan personnel, si ça marchait. Je crois qu’il joue gros sur cette opération. Mais dans le même ordre d’idée, le Canadien National... c’est une grande société.
Les deux compagnies veulent prendre de l’ampleur. Pour être honnête, je ne sais pas qui a le plus d’essence dans le réservoir. Mais je suis certain que nous en reparlerons, si je peux m’exprimer ainsi.
Ce serait avec plaisir, Howard. Merci beaucoup.
Merci, Kim.
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