
Les données de juillet sur l’inflation aux États-Unis ont été meilleures que prévu, ce qui pourrait inciter la Fed à atténuer sa lutte contre la hausse des prix. Greg Bonnell parle des perspectives pour les taux d’intérêt avec Hafiz Noordin, gestionnaire de portefeuille, Titres à revenu fixe à gestion active, Gestion de Placements TD.
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[MUSIQUE] Le dernier rapport sur l’inflation aux États-Unis est meilleur que prévu. Le prix de l’essence a baissé en juillet. Mais bien sûr, la grande question pour les investisseurs, c’est de savoir si ça va relâcher la pression sur la Fed et l’inciter à lever le pied sur les hausses de taux brutales. Nous allons écouter l’avis de Hafiz Noordin, gestionnaire de portefeuille, Titres à revenu fixe mondiaux à gestion active, Gestion de Placements TD. C’est un plaisir de vous revoir ici. Entrons tout de suite dans le vif du sujet. Bien sûr, c’était LE chiffre que tout le monde attendait. On voit bien qu’il y a une réaction très nette sur les marchés des actions et des obligations. Exactement. Tout le monde se réjouit aujourd’hui, parce que ça faisait près d’un an que l’indice des prix à la consommation – l’IPC – aux États-Unis ne nous avait pas réservé une bonne surprise. Le marché s’était habitué à la volatilité dans les jours précédant sa publication et il était au final souvent plus haut que prévu. Mais cette fois, les économistes s’attendaient à une augmentation d’environ 8,7 % sur 12 mois, or en juillet, elle a été de 8,5 % seulement, même si ça reste très élevé. Pareil, on s’attendait à 6,1 pour l’IPC de base et il est sorti à 5,9. Évidemment, c’est bon pour le moral, mais je ne pense pas pour autant que l’inflation s’apprête à hisser le drapeau blanc. Le diable se cache toujours dans les détails. Allons un peu plus loin. Vous mentionnez l’IPC de base. En bout de ligne, qu’est-ce que ça va prendre pour ramener l’inflation à un niveau qui convienne à la Fed au cours des prochains mois? On a vu 0 % d’un mois sur l’autre. Mais est-ce qu’il y a des tendances durables dans l’IPC de base? Absolument. Je pense que le facteur le plus important à surveiller, c’est le prix des logements. Il y a eu une légère baisse d’un mois sur l’autre. C’était environ à 0,6 % et c’est sorti à 0,5. La tendance est très claire pour le prix des logements, or ce prix représente une grosse partie du panier de l’IPC et est étroitement lié au cycle. Quand les salaires augmentent, on sait que le prix des logements augmente aussi. Ça, ce n’est pas encore réglé. La tendance se maintient. Le prix des logements augmente d’environ 6 % sur 12 mois pour le taux annualisé. C’est là toute la difficulté pour la Fed. Par contre, certaines choses vont commencer à se normaliser, comme les prix des billets d’avion et des voitures d’occasion, qui ont anormalement contribué à l’inflation récemment. C’est ce qui explique la petite surprise de l’IPC américain aujourd’hui. Et ça pourrait continuer, mais la tendance est toujours là pour les logements et d’autres services de base. D’accord, on garde ça en tête, mais revenons à la réaction du marché. On a vu que les actions se sont redressées, et en même temps, il semble que les participants au marché ne soient plus si sûrs qu’il va y avoir une autre énorme hausse de 75 points de base de la Fed et sont en train de se demander si finalement ça ne risque pas d’être seulement 50 cette fois-ci. Est-ce qu’ils accordent trop d’importance aux chiffres d’un seul mois compte tenu de ces autres facteurs? OK. Alors évidemment, un mois ce n’est pas une tendance. Dans l’ensemble, on sait ce qui va arriver d’ici la fin de 2022. On sait que la Fed ou la Banque du Canada, d’une façon ou d’une autre, vont arriver à un taux directeur de 3,5 % d’ici la fin de l’année. Qu’il y ait une hausse de 75 points de base en septembre, suivies de plus petites, ou une hausse de 50 points de base en septembre, je pense que ça va bouger au cours du prochain mois ou mois et demi. En ce moment, c’est un peu plus probable que ce soit 50 points de base plutôt que 75. On va bien voir. Il va y avoir une autre course à l’emploi. Ça aussi, le marché de l’emploi, ça reste très important. Il va falloir surveiller à quel point il est tendu et garder un œil sur l’augmentation des salaires. Elle reste très élevée. En bout de ligne, ça nous donne des indications importantes sur ce qu’on peut attendre de l’inflation. Il devrait y avoir une certaine volatilité, mais à la fin de la journée, on sait ce que la Fed et la Banque du Canada vont faire vers la fin de l’année. Une fois l’année terminée, les participants au marché, au moins une partie d’entre eux, vont miser sur le fait qu’après ce cycle -- Il a d’ailleurs été assez brutal et rapide, bien plus que ce qu’on aurait imaginé en pleine pandémie. Mais une fois ce cycle passé, on va se retrouver dans une situation où il va bien falloir recommencer à baisser les taux. Est-ce que ce serait un peu trop optimiste comme position dans un portefeuille? C’est intéressant. Il y a eu récemment ce qu’on a appelé un changement d’orientation de la Fed, qui explique en partie la réaction du marché, puisque beaucoup de participants ont pensé qu’elle devenait plus conciliante et que la croissance allait voler la vedette à l’inflation et entraîner des baisses de taux dès le premier ou le deuxième trimestre de l’année prochaine. Plutôt qu’un changement d’orientation, je crois que la Fed essaie de se donner plus d’options, plus de flexibilité pour ses prochaines décisions, parce qu’il y a énormément d’hypothèses d’évolution possible pour la croissance et l’inflation dans les 6 à 12 prochains mois. C’est là qu’il y a une certaine vulnérabilité dans le marché. On continue d’anticiper des baisses de taux pour l’été prochain, mais ça suppose que, même si l’inflation sera peut-être de 4 % l’an prochain, la croissance se sera suffisamment dégradée pour que la Fed doive baisser ses taux. Ce sont ces données-là qu’il faut surveiller. Or, si les économies des États-Unis et du Canada continuent à bien résister – c’est là où la courbe des taux des obligations pourrait être réévaluée – au lieu d’une baisse, la politique pourrait rester restrictive autour de 3,5 % à 3,75 %. Parlons un peu de la courbe des taux. Par le passé, quand il y avait moins de volatilité, en cas d’inversion des taux à 2 et 10 ans, on aurait pensé que le marché des obligations nous faisait passer un message. Ça voulait dire qu’il y avait des temps difficiles qui s’en venaient, et qu’il fallait peut-être se préparer à une récession. Bien sûr, tout le monde surveille l’inversion de très près en ce moment. Est-ce que la logique est toujours la même ou est-ce qu’il y a tellement de volatilité après la pandémie qu’on ne peut plus dire « ça, ça veut dire ça et donc ça. »? L’inversion de la courbe des taux, ça suscite toujours beaucoup d’intérêt, puisque, oui, historiquement ça a toujours été suivi de récessions, mais le laps de temps entre l’inversion et l’entrée en récession est très variable. Ça peut prendre entre moins d’un an et jusqu’à trois ans. C’est différent à chaque cycle. Je crois qu’il faut prendre du recul et se dire que oui, le marché des obligations montre que la croissance va ralentir et que la politique monétaire doit rester serrée, il faut qu’on reste en territoire plus restrictif. C’est pour ça que les taux à deux ans sont si élevés. Ce qu’il faut surtout surveiller, c’est la nature de la dynamique inflationniste. Est-ce qu’on peut envisager de revenir bientôt près des 2 %? Il y a un certain scepticisme et ça veut probablement dire que les taux à deux ans doivent rester élevés. C’est la résilience de la croissance qui va vraiment déterminer si le taux à 10 ans baisse nettement plus que le taux à deux ans et donc si une récession approche. Je crois que ça va vraiment dépendre des données. À l’échelle mondiale, au Royaume-Uni par exemple, on prévoit des récessions dans d’autres économies développées. Ça va être à surveiller. On a parlé de certaines des tendances durables de l’inflation de base il y a quelques minutes -- Bien sûr, les salaires en font partie. Une fois qu’un salaire a été donné, c’est difficile de revenir en arrière. Évidemment, on s’inquiète aussi des loyers et des prix des logements. Est-ce qu’il y a des variables inconnues? Je veux dire, les résultats tombent. On se dit : « Oh, finalement c’est mieux que prévu. Peut-être que l’inflation a atteint un sommet. Peut-être qu’on pourrait commencer à desserrer la vis. » Est-ce qu’il y a des variables inconnues qui pourraient nous piéger? Eh bien, les prix de l’énergie vont rester volatils. On regarde l’inflation de base, qui ne tient compte ni de l’alimentation ni de l’énergie. Mais en réalité, ces prix-là ont beaucoup d’importance pour les consommateurs, pas seulement dans l’immédiat pour leur portefeuille, mais aussi pour pour savoir à quoi s’attendre comme inflation. Si vous voyez les prix monter à la pompe ou à l’épicerie, ça influence votre vision de l’avenir. En ce moment, ça baisse à la pompe. Par contre à l’épicerie, ça continue de monter doucement. Ce sont les paramètres de l’équation qui m’inquiètent, car ils pourraient très bien s’envoler, selon ce qui va se passer en Ukraine, selon l’évolution des sanctions. C’est surtout là qu’il y a des variables inconnues. Par contre, pour moi le prix des logements ça n’en est pas une. C’est plus une tendance durable qu’on connaît. Il faut donc continuer à la surveiller. Et même si les attentes d’inflation diminuent en ce moment, on ne doit pas oublier que c’est le prix des logements qui détermine tout. [MUSIQUE]