
Un accord historique entre la plus grande chaîne de cinéma et une des plus grandes entreprises médiatiques aux États-Unis a créé une onde de choc au sein de l’industrie cinématographique et du divertissement. Anthony Okolie et Andriy Yastreb, analyste, Télécommunications et Médias, Gestion de Placements TD, discutent de la façon dont cet accord pourrait transformer les plateformes de diffusion vidéo en continu.
Plusieurs changements qui ont eu des répercussions sur l’industrie du cinéma se sont produits au cours des dernières semaines. Premièrement, AMC et Universal ont conclu une entente de distribution historique. Ensuite, Disney a décidé de sortir un grand film, Mulan, sur sa plateforme de diffusion en continu de vidéos sur demande en accès premium. Je suis accompagné d’Andriy Yastreb, analyste, Télécommunications et Médias à Gestion de Placements TD, qui nous parlera des répercussions de ces décisions sur le secteur du cinéma et du divertissement. Andriy, parlez-nous d’abord de l’entente entre Universal et AMC. Plus précisément, qu’est-ce que cela signifie pour les nouveaux films et les vidéos sur demande en accès premium?
Bonjour, Anthony. Merci de m’avoir invité. Comme vous l’avez mentionné, il y a quelques semaines, Universal et AMC ont annoncé une entente importante dans le cadre de laquelle Universal aura la possibilité de raccourcir la période de projection de certains films à seulement 17 jours, soit environ trois fins de semaine. Et elle aura essentiellement la possibilité de le faire, ce que lui a accordé AMC.
C’est un grand changement pour l’industrie, parce qu’historiquement, la période exclusive pour les salles de cinéma pouvait durer jusqu’à trois mois, et non trois semaines. Et seulement après cette période, les films passeraient au DVD et à d’autres canaux de distribution. Ça veut donc dire que beaucoup de films vont apparaître sur les plateformes numériques beaucoup plus tôt qu’avant.
Alors, du point de vue du consommateur, pourquoi la vidéo sur demande pourrait-elle être une option intéressante plutôt que d’aller au cinéma?
Tout d’abord, pour beaucoup de clients, ce sera beaucoup moins cher. Si vous pensez à une famille de trois personnes, aller au cinéma, c’est dépenser environ 30 $ pour des billets, plus 10 $ ou plus probablement 20 $ pour du maïs soufflé et des boissons. Donc si vous allez au cinéma, ça coûte environ 50 $ ou plus. Si vous décidez plutôt de louer un film, qui est disponible sur une plateforme de vidéo sur demande en accès premium, ces locations sont habituellement de 20 $ ou 30 $ pour une durée de deux jours.
Et évidemment, une grande famille peut ainsi économiser de l’argent. Et puis il y a un autre aspect à ça : quand vous regardez un film sur une plateforme de vidéo sur demande en accès premium, vous pouvez le regarder à partir de votre téléphone cellulaire dans votre salon. Et dans le contexte de la COVID, cela signifie évidemment que les gens n’ont pas à être exposés à un danger potentiel lorsqu’ils vont au cinéma.
Comme vous l’avez mentionné, cette entente démontre un changement important dans la façon dont nous regardons les films. Pourquoi AMC a-t-elle conclu cette entente maintenant?
Eh bien, je pense que le principal élément déclencheur était la COVID, précisément parce que beaucoup de cinémas étaient évidemment fermés. On ne sait toujours pas ce qui va se passer plus tard avec la deuxième vague potentielle. Et AMC a vu ça comme une occasion d’obtenir une autre source de revenus, parce qu’elle partage, avec Universal, une partie des revenus de location de vidéos sur demande en accès premium. Deuxièmement, la période exclusive pour les salles de cinéma de 17 jours, ce n’est qu’une option.
Si un film se porte très bien au box-office, Universal continuera de le projeter dans les cinémas. Historiquement, environ 70 % ou 80 % des revenus générés au box-office l’ont été au cours des trois premières semaines suivant la sortie d’un film, et les consommateurs veulent regarder les films quand ils viennent tout juste de sortir. Et cela signifie que, de ce point de vue-là, AMC n’en offre pas tant que ça dans cette entente.
Et qu’en est-il de Disney? Parce qu’on entend beaucoup parler de Disney et de sa chaîne de diffusion en continu. Bien sûr, elle va lancer Mulan, son film d’action en prises de vue réelles, sur sa chaîne de diffusion en continu Disney+, moyennant des frais supplémentaires. Croyez-vous qu’elle adopte une stratégie distincte de celle de Universal?
Je pense que dans ce cas-ci, Disney ne fait que tâter le terrain et essayer de voir comment les choses peuvent évoluer dans le monde des vidéos sur demande en accès premium. Mulan devait donc sortir en mars. Il a été retardé, et sortira maintenant sur la plateforme Disney+, comme vidéo sur demande en accès premium. Du point de vue de Disney, un film comme Mulan générerait des revenus au box-office d’environ 500 millions de dollars, plus ou moins. Disney recevrait un peu plus de la moitié de ce montant, et l’autre moitié irait aux cinémas.
Dans ce cas-ci, Disney propose le film à 30 $ en paiement à la séance aux États-Unis, et compte déjà plus de 60 millions d’abonnés à Disney+. Donc, si, disons, 10 millions de ces abonnés choisissent de regarder ce film, cela signifie 300 millions de dollars en produit brut pour Disney, ce qui serait assez semblable à ce qu’elle obtiendraient des cinémas.
C’est une option intéressante pour Disney, parce que s’il y a plus de 10 millions d’abonnés qui paient 30 $ pour regarder ce film au moment de sa sortie sur la plateforme numérique, Disney a le potentiel de faire plus d’argent que de sortir le film en salles. Et si c’est le cas, avec le temps, il y aura plus de films numériques que de films en salles.
Je pense que ça m’amène à ma dernière question. Compte tenu de ce que nous savons aujourd’hui, quelles sont vos perspectives pour les actions des salles de cinéma?
Eh bien, je pense qu’il y a plusieurs répercussions intéressantes ici. Donc, à court terme, nous avons évidemment les répercussions de la COVID. Et dans les secteurs qui ont été les plus touchés par la COVID, les cinémas ont été parmi les premiers à fermer leurs portes, et ils sont également parmi les derniers à rouvrir, car ils ne sont pas vraiment des commerces essentiels. Il y a donc beaucoup d’incertitude à court terme.
Et du point de vue à long terme, je pense qu’il y a un autre fait nouveau très important, à savoir que l’équilibre du pouvoir dans cette relation entre les cinémas et les studios est en train de changer. Les studios se rendent compte qu’ils peuvent produire des films de façon rentable sur des plateformes numériques et faire un revenu relativement semblable à ce qu’ils faisaient au box-office, alors ils ne comptent plus autant sur les cinémas qu’avant.
Mais le contraire est vrai pour les cinémas. Ils comptent toujours sur les nouveaux films. Et sans les sorties de nouveaux films, ils ne peuvent pas attirer les foules qu’ils avaient avant. Je pense donc que, dans l’ensemble, la volatilité va augmenter à court terme, et tout dépendra de l’évolution de la situation avec la COVID, s’il y a une deuxième vague ou non.
Mais d’un autre côté, c’est qu’avec le temps, il y a un problème avec le changement de pouvoir dans cette dynamique. Pour le moment, nous avons de bonnes nouvelles, car encore plus de cinémas en Amérique du Nord ont rouvert leurs portes au cours des dernières semaines, et d’autres suivront au cours des prochaines semaines. Et la demande des consommateurs semble très positive jusqu’à maintenant. Andriy, merci beaucoup du temps que vous nous avez accordé.
Merci de m’avoir invité, Anthony.
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