Gillian* est passée d’un nid vide à une maison pleine.

Âgée de 48 ans, elle travaille à temps plein et est mère de deux jeunes adultes : l’un termine un programme d’apprentissage de métier et l’autre a fini ses études universitaires il y a tout juste un an. Tous deux avaient quitté la maison familiale, mais juste avant les fêtes, une rupture a forcé le plus jeune à retourner temporairement dans sa chambre d’enfance. Ensuite, lorsque la pandémie a frappé, une brève visite de fin de semaine de l’aîné s’est transformée en un séjour d’une durée indéterminée.

« Quand on nous a dit de nous mettre à l’abri sur place, je pense que les enfants se sont dit que ma maison était tout à fait convenable », rit Gillian.

Elle admet être contente de les avoir à la maison. Cela lui rappelle le bon vieux temps, avec des soupers en famille et des jeux vidéo une époque où Gillian sentait qu’on avait besoin d’elle. Mais ça lui rappelle aussi le bruit, les querelles, les chambres en désordre et la vaisselle dans l’évier.

Ses deux enfants étant sans emploi en raison de la paralysie de l’économie, elle a également repris son rôle de « maman-banquière ». « En ce moment, je paie la note pour tout, dit-elle. L’assurance auto, les médicaments sur ordonnance, l’essence… C’est à moi de m’acquitter de toutes les dépenses. Ils me garantissent qu’ils vont me rembourser, mais je doute de voir un cent dans un avenir rapproché. »

En mars 2020, le taux de chômage a augmenté de 2,2 % pour s’établir à 7,8 %, son plus haut niveau depuis octobre 2010, alors que le pays sortait d’une récession majeure. Parmi les Canadiens âgés de 15 à 24 ans, 392 500 ont perdu leur emploi, soit la baisse la plus rapide parmi tous les groupes d’âge.

« Bien que des prestations gouvernementales aient été offertes, de nombreux jeunes travailleurs et étudiants ont été exclus des mesures financières d’urgence durant les premières phases de cette pandémie, explique Stephen Inskip, vice-président régional, Planification financière, Gestion de patrimoine TD. Comme les loyers sont plus élevés que jamais dans les agglomérations urbaines du Canada, le retour à la maison peut s’être avéré le choix le plus évident pour les jeunes qui faisaient face à l’incertitude. »

La Dr Gina Di Giulio, directrice de la santé mentale à Medcan, une clinique privée de Toronto, ajoute que la période actuelle peut être une bonne occasion d’offrir un soutien émotionnel et financier aux enfants. Mais il peut également être important de mettre en place des limites, afin de ne pas se mettre dans une situation financière désastreuse ou de ne pas finir par ramasser leurs chaussettes et faire leur lessive.

« Même si la situation actuelle est, espérons-le, temporaire, vous contribuez peut-être à créer une génération qui dépend de ses parents en privant vos enfants d’habiletés fondamentales dont chacun a besoin pour être un membre pleinement fonctionnel et prospère de la société, prévient la Dr Di Giulio. Les enfants pourraient avoir beaucoup plus de difficulté à quitter la maison et à se remettre sur pied s’ils ne sont pas encouragés à devenir autonomes. »

Si votre enfant adulte est revenu à la maison avec ses boîtes, voici quelques points à prendre en considération pour préserver vos économies et votre santé mentale :

1. Établissez des règles

La Dr Di Giulio prévient que ce n’est pas parce que vous avez déjà vécu ensemble que les règles seront les mêmes cette fois-ci. Le retour à la maison en tant qu’adulte devrait s’accompagner de règles et d’attentes différentes, et il peut être utile de tout noter, y compris une date de départ provisoire. Établissez les obligations financières de vos enfants, par exemple par rapport au loyer, à l’épicerie ou aux factures du ménage. « Le fait d’exiger une contribution aux dépenses du ménage ou un loyer pour le privilège de vivre à la maison, même à un taux nettement réduit, est une excellente façon d’établir des limites, affirme la Dr Di Giulio. Si un enfant n’a actuellement aucun revenu, des tâches et d’autres responsabilités doivent être clairement définies. »

2. Payez-vous d’abord

Il peut être important d’avoir un plan d’épargne rigoureux pour ne pas sacrifier tout pour vos enfants. Pendant cette période, assurez-vous que votre propre plan financier est solide et, si possible, continuez à épargner et à cotiser à des REER, à des CELI et à d’autres comptes d’épargne et de placement avant de remettre une allocation à vos enfants pour leurs dépenses personnelles. « Il peut être essentiel de prioriser l’épargne-retraite si vous touchez un revenu, et d’établir un budget prudent si ce n’est pas le cas, affirme M. Inskip. Les parents doivent y réfléchir lorsqu’ils songent à soutenir leurs enfants. »

3. Dressez un « budget gentillesse »

Réorganisez votre budget pour tenir compte de tous vos nouveaux frais mensuels. Certaines dépenses sont évidentes, comme l’épicerie et les services publics. Cependant, le retour des enfants à la maison peut entraîner des coûts cachés. L’assurance auto, par exemple, peut augmenter s’il y a un autre conducteur à la maison. Qui sera responsable du coût des médicaments sur ordonnance ou des soins dentaires de vos enfants? Même si vos enfants vivent ailleurs, il peut être difficile de dire non à un enfant qui est dans le besoin. Il peut être prudent d’ajouter une ligne dans votre budget pour l’aide aux enfants.

4. Aidez-les à trouver des ressources de soutien

Le gouvernement a mis en place des mesures en cette période pour aider les Canadiens à payer leurs dépenses. Récemment, on a annoncé la Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants (PCUE) pour ceux qui sont actuellement ou qui seront bientôt inscrits dans un établissement d’enseignement postsecondaire, ainsi que pour ceux qui viennent d’obtenir leur diplôme. Le gouvernement fédéral a augmenté le crédit pour la TVH/TPS pour ceux qui sont admissibles, et a élargi l’accès aux prêts et bourses pour l’année scolaire 2020-2021. « Aider vos enfants adultes à traverser cette épreuve et à se prévaloir de ces ressources est quelque chose d’important, explique M. Inskip. De plus, le fait de les amener à s’adresser à un professionnel des services financiers pourrait les aider à reporter leurs versements de prêt ou de carte de crédit, au besoin. »

5. Expliquez l’importance de la littératie financière et prêchez par l’exemple

L’enseignement des principes de littératie financière à vos enfants à un jeune âge peut prévenir un cycle de dépendance plus tard dans leur vie. « Pour les parents qui sont pris dans ce cycle avec leurs enfants aujourd’hui, il faut passer du rôle de bouée de sauvetage financière à celui de coach financier, et aider les enfants à prendre le contrôle de leurs finances afin qu’ils puissent acquérir une plus grande indépendance », explique M. Inskip.

À l’heure actuelle, encourager les enfants adultes à épargner ce qu’ils peuvent et à respecter un budget peut les aider à se préparer à réussir lorsque l’économie reprendra son cours.

Gillian indique que même s’il est difficile d’aider ses enfants à se lancer dans la vie adulte et à faire des plans d’avenir alors qu’il y a tant d’incertitude, elle prévoit mettre en place des règles pour la vie à la maison.

« Ça peut être une bonne occasion de leur montrer que vous les appuyez, dit-elle. Mais c’est aussi l’occasion de leur montrer à quoi ressemble vraiment la vie d’adulte. »

* Nom modifié pour préserver l’anonymat.

DENISE O’CONNELL

PARLONS ARGENT ET VIE

ILLUSTRATION

DANESH MOHIUDDIN