Donner le meilleur de soi
(et plus encore)

Si votre travail est une source de stress, cela pourrait aller au-delà du fait de simplement brûler la chandelle par les deux bouts. Ce stress peut se répercuter sur votre santé et nuire à la rentabilité de votre employeur. Le Dr David Posen, qu’on appelle souvent le docteur Calme, nous parle de la psychologie du stress en milieu de travail et de ce que nous pouvons faire pour réduire la pression.
Rania* se présente comme une personnalité « de type A ». Elle est perfectionniste et méticuleuse, ce qui, de son propre aveu, peut souvent mener à l’épuisement professionnel. Et, bien que les personnalités de type A tendent souvent à s’auto-imposer une surcharge de travail, elle affirme que ce n’est pas ce qui l’a conduit dans les ténèbres où elle se trouve actuellement.
Rania, qui est âgée de 41 ans, travaillait pour son employeur depuis plus de 15 ans. Elle est passée d’un poste à l’autre, bien souvent un travail sans lien avec ses compétences et auprès de gestionnaires dépourvus, à son avis, de réelles qualités de dirigeants. Elle décrit l’expérience comme une campagne méthodique et calculée pour lui faire vivre un stress débilitant dans une ambiance de travail marquée par une culture de harcèlement et d’humiliation.
« Je crois que le stress professionnel a provoqué chez moi des contractions musculaires involontaires sur l’ensemble de mon corps. De petits spasmes qui se faisaient sentir partout — mon pied gauche, ma cuisse droite, mes lèvres, mon dos. C’était constant et vraiment déconcertant. Je suis bien allé voir un médecin, mais il n’a décelé aucune cause sous-jacente. Pour retrouver la maîtrise de mon corps, j’ai suivi un cours de pleine conscience, avalé des comprimés de magnésium et essayé de quitter le travail à l’heure. Avec le temps, les contractions ont cessé. » -JB
« Au fil des ans, j’ai eu l’impression de me retrouver à l’école secondaire », raconte‑t‑elle. « Les rumeurs, la mesquinerie, l’agressivité manifeste et l’attitude passive agressive ont eu un effet dévastateur sur ma santé. On m’a blâmée et engueulée devant des collègues lors de réunions, j’ai été punie pour ne pas avoir respecté des échéanciers irréalistes, j’ai été humiliée et rabaissée de manière régulière. »
Elle a bien essayé de se défendre, mais cela lui a seulement valu de se faire taxer de « difficile » par les hauts dirigeants et les ressources humaines. Elle travaillait de longues heures pour essayer de montrer sa valeur et de respecter des échéanciers qui étaient impossibles.
Elle se rappelle très bien le moment où ses problèmes de santé ont commencé à apparaître. « J’approchais la fin de mon sixième mois de grossesse et je souffrais d’anxiété paralysante. Je pensais que c’était dû à ma grossesse, mais même pendant mon congé de maternité avec mon fils, je n’arrivais plus à trouver le moyen de sortir de ma maison. Quand le temps est venu de retourner au travail, j’ai commencé à faire des crises de panique. »
À mesure que la situation au travail empirait, sa santé se dégradait. Dans les premiers temps, elle a connu des épisodes d’insomnie et de frénésie alimentaire tard le soir, puis cela s’est transformé en un cas de dépression et d’anxiété si grave qu’elle n’était même plus en mesure de se concentrer suffisamment pour faire la vaisselle ou prendre une douche. On lui a prescrit des antidépresseurs pour l’aider à composer avec son stress professionnel.
« C’était un mélange de désespoir, d’apathie et de haine de soi », se rappelle‑t‑elle. « J’ai commencé à croire toutes les choses qu’on me disait au travail — que j’étais paresseuse et que je n’étais bonne à rien. »
L’an dernier, elle a dû s’absenter après un accident au travail et, tandis qu’elle recevait les soins de son médecin, ce dernier a remarqué ses symptômes. Il l’a prévenu qu’un retour au travail menacerait gravement sa santé tant physique que mentale. Elle a pris un congé lié au stress et est restée à la maison pendant six mois pour récupérer.
Soyons francs. Les livres de croissance personnelle ont beau marteler qu’il est important d’aimer son travail, le travail n’est pas toujours plaisant ni même agréable. Pour la plupart des employés, certains aspects du travail sont valorisants, mais les tâches subalternes quotidiennes et les mauvaises relations de travail peuvent compromettre cette satisfaction.
Selon un sondage TD1, Rania n’est pas seule, bon nombre de travailleurs canadiens sont trop stressés. Plus du deux tiers des travailleurs interrogés ont indiqué subir un stress allant de moyen à élevé au travail. Cette constatation valait particulièrement pour les gens qui travaillent dans le domaine de la santé, de l’assistance sociale, des finances, de l’assurance et de l’immobilier.
Le sondage TD2 a également révélé que l’âge jouait un rôle dans le stress lié à l’emploi. Les milléniaux et les membres de la génération X qui ont participé au sondage étaient plus portés à affirmer qu’ils éprouvaient un stress élevé ou moyen au travail, en comparaison aux baby-boomers. D’autres études ont démontré qu’un stress professionnel insupportable en milieu de travail avait poussé de nombreux Canadiens à quitter leur emploi.
« Je travaillais dans une salle de nouvelles télévisuelles où l’on nous disait régulièrement que nous étions tous remplaçables; que des gens comme nous il y en avait des tonnes et qu’ils pouvaient nous remplacer tous d’ici demain. On entendait ces propos constamment. » -NM
« Le stress tue l’énergie. Il tue l’engagement, il tue le moral, il tue l’esprit », affirme le Dr David Posen, auteur de Is Work Killing You? et aussi connu sous le nom de docteur Calme. « Et vous savez quoi aussi? Il tue le rendement et la productivité. »
La psychologie du stress au travail
« Notre réaction au stress est quelque chose d’inné — le combat ou la fuite — qui permet de mobiliser rapidement notre énergie pour fuir le danger, affirme le Dr Posen, et fait intervenir l’adrénaline… et toutes les hormones du stress. Mais le fait est qu’il n’est pas possible de puiser l’énergie de votre corps si vous n’avez pas le temps de marquer un arrêt et de refaire vos réserves. »
Le Dr Posen prévient que si vous ne prenez pas le temps de récupérer cette énergie « le corps lâche entièrement. Les glandes surrénales s’essoufflent; l’effet se fait sentir sur le cœur et le cerveau, la pression artérielle, le cholestérol et tout le reste, et votre corps ne peut tout simplement pas résister. »
Le Dr Posen a identifié trois causes distinctes de stress au travail :
1) VOLUME DE TRAVAIL
Selon le Dr Posen, la quantité de travail distribuée aux employés est en hausse. « Particulièrement par suite de compression des effectifs et de sociétés réduites à la plus simple expression, les chanceux qui restent se retrouvent avec toute la charge de travail qui était autrefois partagée entre tous les employés », affirme-t-il.
2) LA VÉLOCITÉ DU TRAVAIL
Il s’agit du rythme ou de la vitesse du travail. « La vitesse s’est accrue grâce à la technologie, indique le Dr Posen, mais aussi en raison des attentes irréalistes et, bien honnêtement, de l’impatience. Plus personne ne veut attendre. »
3) ABUS, INTIMIDATION ET HARCÈLEMENT
Cela englobe l’intimidation et les abus de toute sorte, dont le harcèlement sexuel et le racisme. « De tels incidents passent souvent sous le radar », dit le Dr Posen. « On ferme les yeux et, dans de nombreux cas, les organisations savent qui en est l’auteur, mais pour une raison ou une autre, on lui laisse le champ libre. » Ses patients qui ont besoin d’un traitement de longue durée sont ceux qui ont été victimes d’abus, et un abus grave peut même provoquer un trouble de stress post-traumatique.
Marika* a aussi souffert de stress. Elle a travaillé pour des patrons exigeants pendant toute sa carrière, mais une patronne en particulier lui est restée en tête. « Après s’être jointe à l’entreprise, cette gestionnaire a entrepris de décimer le département, se rappelle-t-elle. Des collèges de 10, 15, 20 ans étaient accompagnés hors de l’immeuble. »
« Je travaillais plus de 50 heures par semaine dans un environnement chaotique et stressant, et je devais être disponible le soir. On me convoquait à des réunions tard la nuit et pendant les week-ends. En plus, le chef de l’exploitation était un intimidateur qui engueulait fréquemment le personnel et congédiait des gens pour des fautes mineures. J’ai commencé à souffrir de maux d’estomac, de brûlures gastriques et de fatigue intense. Je suis maintenant suivi par un médecin, je me cherche un autre emploi et je m’efforce de fixer mes limites au travail. » -VP
Cela a engendré une atmosphère de peur qui a permis à sa patronne de causer des ravages auprès des employés qui restaient. « Je me souviens très bien d’un incident où j’ai voulu obtenir des félicitations et une rétroaction pour un projet qui s’était fort bien déroulé. Elle s’est assise devant moi et s’est moquée de moi, comme le ferait un écolier dans la cour d’école. J’étais stupéfaite. »
Marika a commencé à s’absenter du travail après les altercations avec sa patronne. Comme Rania, elle a sombré dans la dépression et elle prend des antidépresseurs depuis ce temps.
Éliminer le stress
En raison de ses effets néfastes sur la santé et le bien-être, le Dr Posen affirme qu’il faut s’attaquer au stress de longue durée. Il offre certaines suggestions aux personnes qui pressentent l’apparition d’ulcères :
Restreindre les heures de travail. « Les études démontrent, et c’est fascinant, que le nombre optimal d’heures par semaine pour la productivité s’établit à environ 40 heures. Il est possible d’étirer ce nombre à 45 ou 50 heures, mais au‑delà, vous faites du surplace. »
Prendre des pauses régulières. « Une pause le matin, un arrêt pour dîner et une pause en après-midi ou un arrêt pour souper permettent de diviser la journée de travail à l’image de ce qu’on appelle le rythme ultradien. Nous avons des cycles sommeil-réveil tous les 24 heures, mais nous avons également des cycles de deux heures dans une journée. Si vous prenez des pauses qui concordent avec vos cycles réguliers d’énergie, vous serez beaucoup plus productif. »
Apprendre à dire non. « Vous connaissez l’expression, donnant donnant? Vous ne pouvez pas continuer à en rajouter, à un moment donné, les gens doivent apprendre à dire non et à fixer leurs seuils et leurs limites. »
Cesser d’utiliser la technologie de manière excessive. « Les gens doivent avoir une vie en dehors du travail, parce que le travail est devenu tellement omniprésent. … Il y a des limites à ce que nous pouvons faire. Les gens doivent fixer leurs propres limites et prendre du temps pour eux. »
Le Dr Posen préconise également de bannir la technologie de la chambre à coucher, car son utilisation nuit à la qualité du sommeil et en réduit la durée. « Il faut savoir utiliser la technologie, sans se faire user par celle-ci », conseille-t-il.
Les employeurs ne sont pas tirés d’embarras
Ce n’est pas toujours facile de dire non, particulièrement lorsque la nature d’un emploi devient instable et précaire au fil du temps, donc il revient en partie aux employeurs d’aider leurs employés à gérer la charge de stress, selon le Dr Posen.
« Le stress détruit beaucoup de choses, dont la rentabilité. On peut donc démontrer l’utilité de porter attention à ce problème », affirme-t-il.
« Une de mes patronnes était un tel tyran qu’il m’a fallu quitter mon travail. Je faisais des attaques de panique sur la route vers le bureau. Après mon départ, j’ai embauché un avocat et poursuivi l’entreprise pour congédiement déguisé — affirmant en gros que son harcèlement m’avait obligé à quitter l’entreprise et à mettre fin prématurément à mon contrat. Ils ont réglé à l’amiable pour 20 000 $. » -DC
Le Dr Posen indique que bon nombre d’organisations s’attendent à ce que leurs employés gèrent par eux-mêmes tout ce stress, ils présument que l’incapacité de certains à offrir la performance escomptée relève d’une question de rendement personnel. « Il s’agit plutôt d’une responsabilité partagée. C’est un problème systémique que les gens, qui bien souvent en sont les victimes, ne peuvent résoudre seuls. Les organisations doivent intervenir et assumer leurs responsabilités », déclare le Dr Posen. « Cela vaut pour tous les membres d’une organisation, jusqu’au sommet de la chaîne. »
Investir en soi pour réduire le stress
Selon le sondage TD3, plus de la moitié des Canadiens ne prennent pas le temps d’investir en eux-mêmes autant qu’ils le souhaiteraient et plus du deux tiers des personnes interrogées (67 pour cent) ont affirmé qu’ils ne le faisaient pas autant qu’ils le souhaitaient, car ils ne peuvent pas se le permettre.
« Se montrer confiant envers sa situation financière confère souvent un sentiment d’autonomie pouvant influencer votre façon de voir le travail. Soit vous travaillez pour vivre ou vous vivez pour travailler. », selon Jody Beaupre, vice-présidente régionale, Gestion de patrimoine TD.
Planification financière
« Il faut investir en soi, au même titre que pour tout autre objectif financier, comme un chalet ou une nouvelle voiture », indique Mme Beaupre. « Envisagez d’ajouter un peu plus d’argent à votre épargne grâce à des retraits automatiques et servez-vous-en lorsque vous avez besoin de temps pour vous au spa ou bien sur le terrain de golf, ou encore constituez-vous un coussin si jamais vous devez quitter votre emploi. Vous aurez peut-être l’impression d’être plus libre. »
Marika est toujours aux prises avec une dépression, mais ses journées sont moins sombres depuis qu’elle a été transférée dans une autre unité dirigée par une gestionnaire qui sait comment tirer le meilleur de ses employés. « Son approche en matière de travail et de gestion s’appuie sur le professionnalisme, la confiance et la sécurité, confie Marika. Cela fait toute la différence pour moi, ma santé et mes perspectives. »
– Denise O’Connell, Parlons argent et vie