Conciliation familiale

Compromis et communications avec la famille sont des incontournables lors de la préparation de votre testament ou de la planification de la relève de votre entreprise.
juin 23rd, 2016
Le père et fondateur d’une entreprise familiale avait soudainement décidé, alors qu’il ne s’en était pas soucié pendant des années, de mettre en place un plan de relève, et il souhaitait que tout soit réglé dans les trois mois, se souvient Wendy Sage-Hayward, du Family Business Consulting Group. Son projet se heurtait toutefois à deux obstacles de taille : l’entreprise ne comptait pas de conseil d’administration ni de politique de gouvernance, ne tenait pas de réunions de propriétaires ni de rencontres familiales et les successeurs du fondateur, soit ses enfants adultes, ne se parlaient pas.
« Les enfants avaient même de la difficulté à se tenir dans la même pièce. Ils n’étaient pas capables de communiquer ni de résoudre leurs conflits », explique Mme Sage-Hayward, qui a récemment animé un atelier sur la préservation du patrimoine familial pour les clients de la TD; il y a notamment été question de la façon dont les entreprises familiales peuvent gérer leurs objectifs en matière de patrimoine.
« La difficulté pour les parents consiste à faire la différence entre leur rôle d’entrepreneur et leur rôle de parents. »
En collaboration avec Mme Sage-Hayward, un plan de relève a finalement été élaboré, mais il a fallu l’intervention d’un thérapeute familial, qui a participé aux réunions, pour aider les membres de la famille à communiquer sur les sujets véritablement importants. Ces rencontres ont permis à la famille d’élaborer collectivement un plan répondant aux intérêts de chacun.
Les difficultés rencontrées par cette famille sont certes extrêmes, mais les complexités inhérentes à la transmission d’un héritage ou d’une entreprise familiale à ses enfants peuvent parfois anéantir un patrimoine issu du labeur de toute une vie. Dans le cas d’une entreprise familiale, le sens de la famille doit être dosé : s’il est trop important, il risque de nuire à l’entreprise, et s’il est insuffisant, il peut nuire à la famille.
Mme Sage-Hayward a travaillé avec de nombreuses entreprises familiales pour aider à résoudre des conflits entre collègues qui étaient à la fois membres de la même famille et copropriétaires. Elle explique que la façon dont nous traitons les membres de notre famille et nos collègues sont par nature incompatibles. La famille est une des plus grandes sources de joie qui soient, mais nos attentes à l’égard de nos proches sont parfois irréalistes. Par ailleurs, nous avons souvent tendance à tenir nos relations familiales pour acquises et à traiter les autres plus poliment et avec plus de respect que nos proches. De ce fait, il peut devenir extrêmement difficile d’établir des relations de travail et des communications strictement professionnelles avec les membres de notre famille.
Équité et égalité
Même en l’absence d’entreprise familiale, la transmission d’un patrimoine à sa famille peut être une source de conflits durables si on ne réfléchit pas soigneusement à ce que l’on souhaite faire et si on ne communique pas précisément ses intentions. Si vous pensez pouvoir faire plaisir à tout le monde et éviter les querelles en répartissant vos avoirs de façon égale entre vos enfants dans votre testament, vous risquez d’avoir des surprises.
« Il n’est pas toujours simple de faire la distinction entre équité et égalité », indique Domenic Tagliola, planificateur fiscal et successoral, Gestion de patrimoine TD.
« Nous pensons tous que nous allons procéder à une distribution égale entre les enfants, mais d’autres éléments peuvent entrer en ligne de compte », explique-t-il. Cela peut aller de la santé ou de la situation économique de l’un des enfants à la façon dont les actifs seront imposés lors de la distribution.
« La personne qui rédige son testament n’est pas toujours consciente de ces éléments, qui peuvent toutefois poser d’énormes problèmes », indique M. Tagliola.
Il recommande, lorsque vous planifiez votre testament, de faire appel à un professionnel des placements, qui pourra vous aider à trouver des moyens de répartir « équitablement » la succession, en tenant compte de la totalité des actifs. Ceux-ci peuvent tout englober, de la maison familiale au chalet et aux placements, en passant par l’entreprise familiale.
« Tous les actifs ne sont pas imposés aux mêmes taux et il faudra en tenir compte pour une distribution équitable », explique M. Tagliola.
Par exemple, si une famille possède une maison, un chalet, une entreprise et un régime enregistré d’épargne-retraite, chacun évalué à un million de dollars, les taux d’imposition pourraient varier de zéro à près de 54 %. Le taux dépend aussi de qui, des bénéficiaires ou de la succession, devra payer les impôts aux termes du testament.
« Il faut être extrêmement prudent dans cette partie du testament. Le document doit indiquer très clairement à qui il incombera de payer les impôts. Encore une fois, la différence entre équité et égalité peut dépendre de l’imposition des actifs », indique M. Tagliola.
« Il n’est pas toujours simple de faire la distinction entre équité et égalité. Nous pensons tous que nous allons procéder à une distribution égale entre les enfants, mais d’autres éléments peuvent entrer en ligne de compte. »
La nouvelle dynamique familiale
En matière de planification successorale, le concept d’« équité » est encore compliqué par la nature des familles modernes, qui peuvent compter des deuxièmes et troisièmes mariages ainsi que des familles recomposées, regroupant des enfants d’âges très différents.
Prenons l’exemple d’une famille comptant un enfant de 10 ans, avec deux frères ou sœurs d’un second mariage et un enfant unique adulte de 30 ans issu du premier mariage. Comment assurer l’« équité » dans un tel cas? M. Tagliola estime que les parents pourraient établir une fiducie qui prendrait effet au moment du décès.
La fiducie permet une distribution précise des actifs; il est par exemple possible de prévoir une distribution sur une certaine période pour des usages précis, comme les frais de scolarité. Ainsi, le bénéficiaire ne sera pas tenté de dépenser tout l’argent d’un seul coup. La fiducie peut également être établie en faveur d’un jeune enfant; elle lui versera alors les fonds à sa majorité dans les mêmes proportions que ce qui a été versé à ses frères et sœurs.
La fiducie est également une bonne solution pour les familles comptant un enfant handicapé. Celui-ci aura peut-être des frais médicaux à défrayer toute sa vie et ne sera peut-être pas autant en mesure que les autres enfants de faire carrière, de construire une famille et de se constituer un patrimoine. Mais, dans le cas où un des enfants doit faire l’objet d’un traitement spécial, cela doit être clairement expliqué à tous les membres de la famille et compris par tous.
L’assurance vie constitue une autre possibilité pour les familles; elle présente l’avantage de verser un montant en espèces parfois non imposable immédiatement après le décès, indique M. Tagliola. Il souligne que les parents peuvent également constituer une fiducie d’assurance, qui peut distribuer l’argent par petits versements au cours d’une période prédéterminée, ce qui fournira un revenu régulier pendant un certain nombre d’années.
« L’assurance peut être un outil formidable, car elle peut vous fournir des liquidités au moment où vous en avez le plus besoin », explique M. Tagliola.
La notion d’entreprise familiale accroît encore le degré de complexité
La notion d’« équité » en matière de planification successorale peut devenir encore plus complexe lorsque l’on est en présence d’une entreprise familiale, estime Mme Sage-Hayward. Il y a de nombreux éléments à considérer lorsque tous les enfants ne participent pas à l’entreprise ou lorsque certains sont plus impliqués que d’autres.
« Les parents essaient toujours de donner la même chose à tous leurs enfants, mais, dans le cycle de propriété, la participation des enfants peut être très variable. La difficulté pour les parents consiste à faire la différence entre leur rôle d’entrepreneur et leur rôle de parents lors de l’établissement de leur plan de relève », souligne Mme Sage-Hayward. Elle doit souvent rappeler qu’en matière de planification successorale, « amour et argent sont deux choses différentes ».
La communication est essentielle
La meilleure façon d’assurer un transfert harmonieux du patrimoine consiste pour les parents à avoir dès le départ une conversation honnête avec leurs enfants. En présence d’une entreprise familiale, cette conversation devra notamment porter sur le rôle que les enfants sont prêts à jouer dans son exploitation, indique Mme Sage-Hayward.
« L’argent ne doit pas être une question tabou. Certains parents préféreraient encore parler de sexe que d’argent avec leurs enfants. Faites en sorte que cela ne devienne pas quelque chose de caché ou de secret. »
Il n’existe pas de moment idéal pour débuter cette conversation, mais Mme Sage-Hayward recommande de commencer quand les enfants sont suffisamment matures pour comprendre l’impact et les responsabilités associés à leur héritage. Les parents doivent également faire comprendre que leurs actifs ne se résument pas à leur valeur monétaire; ils sont un moyen qui aidera leurs enfants à vivre une vie heureuse et épanouie.
« Comme pour tout dans la vie, la planification successorale est un équilibre et il faut trouver l’équilibre qui vous convient à votre famille et à vous. Pour la plupart des familles, ce n’est pas juste une question d’argent. »
Elle précise que certains parents partent simplement du principe que les enfants voudront continuer à travailler dans l’entreprise familiale, alors que les enfants peuvent avoir d’autres projets de carrière. Il peut également arriver que l’entreprise soit laissée à certains enfants et pas à d’autres, ce qui peut mener à des querelles familiales.
La famille dont les deux enfants ne se parlaient plus avec laquelle elle a travaillé a pris des mesures pour s’assurer que la prochaine génération ne répète pas les erreurs du passé. Les propriétaires de l’entreprise familiale se réunissent maintenant régulièrement, la société s’est dotée de politiques sur l’emploi des membres de la famille, de politiques prénuptiales, de conventions d’actionnaires, et travaille à l’élaboration de stratégies de dividendes et d’un plan de réussite.
En outre, lors des rassemblements familiaux, la troisième génération est présente et joue dans la pièce même où se tient la réunion familiale. Les plus jeunes observent comment leurs parents, oncles et tantes travaillent ensemble, dans un esprit d’équipe, à l’entreprise familiale et on peut espérer qu’ils en retiendront un mode de résolution pacifique des conflits.
La mise en place de véritables politiques de gouvernance et l’existence d’une vraie volonté de communication donnent aux familles les outils pour gérer les inévitables conflits.
« Les politiques ne sont pas la chose la plus importante. Il faut pouvoir s’y référer… mais la chose la plus importante consiste à s’entendre sur des questions comme “Comment entrez-vous dans l’entreprise familiale?”, “Combien serez-vous payé?”, “Pouvez-vous travailler dans l’entreprise familiale si vous êtes un conjoint?”, “Devez-vous avoir acquis de l’expérience ailleurs?” » indique Mme Sage-Hayward.
« L’important, c’est que les enfants soient heureux et satisfaits et que la famille reste unie. Comme pour tout dans la vie, la planification successorale est un équilibre et il faut trouver l’équilibre qui vous convient à votre famille et à vous. Pour la plupart des familles, ce n’est pas juste une question d’argent, », explique Mme Sage-Hayward.
« Au bout du compte, c’est l’opinion des parents sur ce qui est juste et équitable qui compte. Les enfants hériteront de ce que les parents voudront bien leur donner », indique M. Tagliola.
Pour M. Tagliola, lorsque l’on n’est pas sûr de l’impact qu’un testament, un plan successoral ou une question relative à l’entreprise familiale aura sur la famille, le mieux est de faire appel à un professionnel qualifié pour s’assurer d’avoir la bonne information.
– Écrit par Don Sutton, Parlons argent et vie