Accompagnement d’un parent : Quand le temps est venu d’intervenir

Comment une procuration peut aider à faire respecter les volontés d’un parent en perte d’autonomie
octobre 19th, 2016
Pour la première fois au pays, le nombre des personnes de plus de 65 ans dépasse celui des moins de 15 ans, selon Statistique Canada 1. Même si les aînés sont plus en santé et vivent plus longtemps que jamais, le vieillissement ne manque pas d’avoir des conséquences. Les personnes qui avancent en âge nécessitent une grande attention médicale et plusieurs d’entre elles souffriront éventuellement d’une incapacité physique ou mentale. Le cas échéant, non seulement elles ne pourront plus s’occuper d’elles-mêmes, mais elles ne seront peut-être plus aptes à prendre des décisions concernant leurs soins.

Parmi les défis liés à la prise en charge de parents âgés se trouve la possibilité d’agir légalement pour combler les besoins de l’aîné en cas d’invalidité. Des questions peuvent surgir, notamment : Qui détermine le niveau de soins requis? Qui est responsable de gérer ces soins? Comment ces soins sont-ils payés? Domenic Tagliola, planificateur fiscal et successoral à Gestion de patrimoine TD, expose ici ce que les enfants adultes et leurs parents vieillissants doivent savoir pour se préparer à une situation d’incapacité.
Q. : Domenic, le fait de voir un parent devenir invalide doit générer énormément d’anxiété chez les enfants. Comment pourront-ils gérer la santé de leur parent? Qui sera autorisé à prendre des décisions de nature juridique ou financière?
Domenic Tagliola : Tout à fait. Cela dit, il existe un outil juridique efficace qui peut atténuer en grande partie le stress et les inquiétudes dans ces circonstances. Il s’agit de la procuration, à savoir un document établi par une personne qui souhaite déléguer la responsabilité de ses affaires à quelqu’un d’autre. Si vous établissez une procuration à titre de personne vieillissante, vous désignez une personne, c’est-à-dire un mandataire (normalement, un parent proche, mais pas nécessairement), qui s’occupera de gérer vos affaires. Sachez qu’il y a deux types de procurations : la procuration relative aux biens (PRB) et la procuration relative aux soins personnels. La PRB autorise la ou les personnes que vous nommez à gérer vos finances, notamment vos comptes bancaires, le paiement des factures et la vente de vos actifs. La PRB peut entrer en vigueur dès la signature, mais vous pouvez reporter sa prise d’effet pour permettre à votre fille ou à votre fils adulte de prendre les choses en main si jamais vous êtes frappé d’incapacité en raison d’une maladie. Ainsi, une PRB établie dans la cinquantaine, alors que vous êtes en forme, pourrait n’entrer en vigueur que lorsque vous subissez une attaque cardiaque à 78 ans et devenez inapte à prendre vos propres décisions.
« Une procuration peut aider n’importe quelle famille, à tout moment, en cas d’imprévu. Imaginez ce qui peut advenir d’une famille dont le principal soutien se retrouve invalide à la suite d’un accident de la route si le conjoint n’a qu’un accès limité aux comptes bancaires, aux comptes de placement ou aux actifs. »
Le cas échéant, la PRB pourrait autoriser le mandataire à s’occuper, par exemple, du paiement de vos cartes de crédit, de l’achat de vos médicaments, de l’encaissement de chèques, de la gestion de vos comptes bancaires et de tout paiement lié à des besoins médicaux, comme les visites d’une infirmière ou un fauteuil roulant. Plus tard, la PRB pourrait conférer à l’enfant adulte, en tant que mandataire, l’autorité légale de vendre votre maison et de vous placer dans une maison de soins infirmiers, en finançant vos soins à long terme.
La procuration relative aux soins personnels traduit les volontés d’une personne en matière de soins si elle devient invalide. Ce document peut faire état du type d’alimentation souhaité, d’une préférence pour un foyer de soins infirmiers privé ou de conceptions à l’égard des soins palliatifs. Il peut aussi décrire les circonstances dans lesquelles la personne âgée aimerait vivre ses derniers jours dans sa maison ou refuserait d’être réanimée, s’il y a lieu. Cela dit, contrairement à la PRB, la procuration relative aux soins personnels entre en vigueur seulement lorsque le personnel médical considère qu’il ne peut plus obtenir d’instructions fiables du patient.
Q. : Un « testament biologique » correspond-il à une procuration?
« Seules les personnes désignées dans les procurations sont autorisées à agir en regard des actifs, des comptes ou des soins médicaux. »
D. T. : Le testament biologique s’appliquait avant 1995, l’année d’entrée en vigueur de la Loi sur la prise de décisions au nom d’autrui, qui inclut des dispositions relatives aux procurations. Un testament biologique n’est pas un document juridiquement contraignant, mais il expose, en cas d’incapacité, vos volontés et les personnes qui sont moralement tenues de les respecter. Par ailleurs, le testament biologique est encore reconnu lorsqu’il s’agit de faire valoir les volontés d’une personne. Mais, selon moi, mieux vaut établir une procuration relative aux soins personnels, car c’est un document juridiquement contraignant, contrairement au testament biologique.
Q. : Quel est le meilleur moment pour établir une procuration?
D. T. : Dès maintenant. Une procuration peut aider n’importe quelle famille, à tout moment, en cas d’imprévu. Imaginez ce qui peut advenir d’une famille dont le principal soutien se retrouve invalide à la suite d’un accident de la route si le conjoint n’a aucun accès ou ne dispose que d’un accès limité aux comptes bancaires, aux comptes de placement ou aux actifs. En ce moment, beaucoup de gens décident d’établir une procuration lorsqu’ils voient ce qui se passe avec leurs parents ou un proche qui n’en a pas, et constatent à quel point il est difficile d’assumer et de payer les soins.
Q. : Que se passe-t-il si les membres d’une famille ne s’entendent pas sur le type de soins requis par un parent?
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D. T. : Chaque famille devrait discuter d’un plan d’action bien avant la survenue d’une crise. Cela dit, la procuration contribue grandement à prévenir les conflits. Dans le cas d’une famille recomposée ou d’un deuxième mariage, par exemple, les intérêts risquent fortement de diverger au moment de gérer les soins – et les actifs – d’une personne devenue soudainement infirme. La procuration détermine alors qui sera responsable de gérer les biens ou les soins. Seules les personnes désignées dans les procurations sont autorisées à agir en regard des actifs, des comptes ou des soins médicaux. En établissant vos procurations de manière responsable et en nommant comme mandataires des gens de confiance pour veiller au respect de vos volontés, vous minimiserez sûrement les risques de graves mésententes familiales.
Q. : Il semble préférable de conjuguer les deux types de procurations pour exécuter les volontés et les plans du parent. Est-ce le cas?
D. T. : Oui. La procuration relative aux soins personnels peut servir à communiquer les préférences d’une personne en termes de soins. Quant à la PRB, elle permet à quelqu’un d’utiliser les fonds de la personne pour exécuter ses volontés. L’auteur de la procuration relative aux soins pourrait, par exemple, stipuler ce qui suit : « En cas d’incapacité, je veux rester chez moi, à moins que ce soit médicalement impossible. » Ainsi, le mandataire dans le cadre de la PRB pourrait convenir qu’« il faut recourir à des soins infirmiers en tout temps ou transformer la maison pour tenir compte de l’invalidité », et décider de libérer les fonds nécessaires pour agir. Voilà pourquoi les deux procurations sont nécessaires.
Q. : Que risque-t-il d’arriver si vos parents sont frappés d’incapacité sans avoir établi de procuration?
« Dans le pire des cas, les membres de la famille en désaccord peuvent soumettre des requêtes concurrentes à un juge pour obtenir la tutelle [en l’absence d’une procuration]. »
D. T. : La législation sur la question varie d’une province à l’autre. En Ontario, outre la difficulté d’effectuer de simples tâches comme payer les cartes de crédit et accéder aux comptes bancaires – tout en subissant le stress lié à la prise en charge d’un parent malade –, les choses risquent vraiment de se compliquer si vous vous adressez à un tribunal pour obtenir la tutelle d’un parent en vue de gérer ses affaires. Les étapes à franchir et les coûts sont nombreux. Il faut s’attendre à un long processus étalé sur plusieurs mois, qui requiert l’intervention d’un juge et une représentation juridique. Les juges n’accordent pas de tutelle à la légère. Vous devez démontrer qu’une ordonnance de tutelle est le seul recours possible. Par ailleurs, le juge pourrait exiger d’explorer d’abord une autre avenue, s’il y a lieu, pour la famille. Aussi, il demandera à voir un plan de gestion documenté indiquant ce que vous allez faire avec les biens et les actifs concernant votre parent malade.
Si vous êtes amené à poursuivre cette demande de tutelle, vous aurez à traiter avec le Bureau du Tuteur et curateur public, chargé d’approuver la tutelle et le plan de gestion.
En outre, le tribunal peut chercher à obtenir l’approbation des autres parents de la personne invalide – époux, enfants, frères et sœurs. Que se passe-t-il s’il y a un différend entre les enfants et une deuxième épouse? Qu’advient-il si les enfants et les frères et sœurs de la personne sont en désaccord? Il y aura manifestement un problème si le parent malade est brouillé avec un membre de sa famille, ou si les liens ne sont plus très forts entre les frères et sœurs. Qu’arrivera-t-il si des parents éloignés sentent le besoin de se prononcer sur les soins octroyés à votre père ou à votre mère, alors que vous traversez déjà peut-être une sorte de crise? Dans le pire des cas, les membres de la famille en désaccord peuvent soumettre des requêtes concurrentes à un juge pour obtenir la tutelle. Il va sans dire qu’une telle situation, étant donné sa complexité, coûte cher en honoraires juridiques et en temps, sans compter qu’elle risque de compromettre le niveau et la qualité des soins apportés au principal intéressé – le parent âgé.
De plus, le juge ne vous croira pas sur parole en ce qui concerne l’incapacité de votre père ou votre mère. Vous devrez lui fournir des preuves médicales et il vous faudra consacrer du temps et de l’argent à l’embauche d’un professionnel de la santé pour faire évaluer votre parent, ce qui représente parfois des milliers de dollars ou davantage, selon la complexité du cas. Enfin, même s’il y a consensus et que personne ne s’oppose à votre projet de tutelle, vous aurez peut-être déboursé au bas mot entre 10 000 $ et 15 000 $ après avoir payé les frais d’avocat ou de notaire.
C’est pourquoi je ne soulignerai jamais assez l’importance de faire appel votre conseiller financier et à votre avocat ou notaire pour discuter de votre situation et de vos volontés alors que vous avancez en âge, en vue d’établir une PRB et une procuration relative aux soins personnels.
- Statistique Canada, « Estimations de la population du Canada : âge et sexe, 1er juillet 2015 », Le Quotidien, 29 septembre 2015. Consulté le 19 avril 2016, http://www.statcan.gc.ca/daily-quotidien/150929/ dq150929b-info-fra.htm ↩